Le bouleversement des certitudes en matière douanière

 

Par Claude J. BERR, Professeur émérite

Vice-président de l'ORDF

 

Grenoble, le 11 avril 2019

 

Disons le d’emblée : les activités douanières ne font que rarement l’objet de l’attention de l’opinion publique contrairement à celles des autorités de police par exemple. Elles nous concernent pourtant à de nombreux points de vue. Que l’on soit simple touriste, soucieux de rapporter chez lui une certaine provision de tabac, commerçant désireux de s’approvisionner en marchandises étrangères aux fins de les revendre sur son territoire, ou encore industriel qui doit intégrer dans sa production un élément indispensable, c’est aux règles douanières que nous serons confrontés. Celles-ci, certes, ne sont pas édictées par la Douane elle-même, mais par les institutions dotées des pouvoirs correspondants : finances publiques, économie, industrie, etc. L’administration douanière reste avant tout chargée de l’application concrète de ces règles.

 

Pour autant, nul n’ignore que son activité présente une diversité remarquable due à ses vocations multiples qui la conduisent à se comporter comme d’autres institutions spécialisées. Capable d’analyser des médicaments pour y rechercher d’éventuelles substances dangereuses, d’établir si une marchandise a été contrefaite, si son prix a été sous-évalué, si elle a été produite conformément aux normes techniques en vigueur, mais aussi si les participants à son acheminement sont des trafiquants internationaux. La Douane est même appelée dans certaines circonstances à contribuer à la défense nationale en interdisant l’accès au territoire national grâce au matériel militaire qui lui est confié. Ne va-t-elle pas jusqu’à défiler le 14 juillet aux côtés de l’armée ? L’importance du rôle de la Douane dans le fonctionnement de l’Etat est donc bien indiscutable.

 

Elle demeure ainsi avant tout placée sous le signe de la contrainte, contrastant ainsi avec les institutions chargées de veiller à la santé publique, à l’éducation, ou au financement des entreprises. Elle constitue en quelque sorte et conformément à ses origines une forme  de rempart contre les dangers que court la collectivité devant les comportements de certaines puissances étrangères et, naturellement, de certaines entreprises ou de certains individus peu scrupuleux. A ce propos, on ne peut que saluer la capacité d’adaptation dont elle a su faire preuve au cours de son histoire face aux bouleversements qu’ont connus les relations économiques internationales. L’apparition et le développement du libre échange ont notamment constitué un véritable défi à la Douane, sa vocation initiale n’étant assurément pas d’assurer la circulation sans obstacle des marchandises. Elle a su le relever et éviter les pièges de ce principe si on l’avait pris à la lettre.

 

Pour autant, le monde n’a pas cessé d’évoluer. Constatation banale s’il en est. Apparition de nouvelles grandes puissances publiques, considérées il y a quelques décennies à peine comme des pays en développement, sinon sous développés, création de zones économiques fortement intégrées, entreprises géantes implantées sur toute la planète, et surtout progrès technologique dans le domaine des transports, de l’énergie et, évidemment, de la communication des données via Internet. L’image de la camionnette transportant une cargaison de matériel artisanal sous l’œil soupçonneux d’un douanier prêt à soulever la barrière pour permettre au chauffeur de « franchir la frontière » prête à sourire, tant l’exercice par la Douane de ses pouvoirs a su s’adapter à ce nouveau monde. Peut-elle envisager alors, sinon une remise en question de ses fonctions actuelles, en tout cas, son adhésion à de nouvelles vocations ? Mais, parallèlement à cette première interrogation, s’en profile une autre, non moins importante : la Douane peut-elle demeurer dans un cadre juridique national ? Tels seront les deux thèmes sur lesquels apporter quelques observations.

 

I. Les nouvelles vocations de la Douane

 

Impliquée depuis l’Antiquité dans les échanges de marchandises au dessus des frontières, que celles-ci entourent une seigneurie, une ville, une province, un état souverain ou un espace économique, la vocation fondamentale de la Douane sera toujours la surveillance et le traitement de ces échanges. Elle veille à l’observation par ceux qui s’y livrent des règles édictées par les pouvoirs publics et, le cas échéant, à réprimer ceux qui ne les respectent pas. Fidèle à cette vocation protectrice, elle a progressivement assumé les nouveaux impératifs du commerce international. Mais, ce qui est sans doute le signe d’une évolution plus profonde de son rôle, elle est devenue en quelque sorte un instrument d’encouragement à l’activité internationale des entreprises.

 

A. La soumission aux impératifs du commerce international

 

Au premier plan des préoccupations mondiales relatives au commerce international figure le respect du principe de liberté des échanges. Dans son sens le plus simple, on conçoit qu’il s’accommoderait de la disparition pure et simple de la Douane, celle-ci ne pouvant avoir pour vocation d’assurer l’absence d’entraves. Jusqu’à présent toutefois nul n’a proposé une conception aussi absolue et, disons-le, aussi irréaliste. Les institutions internationales concernées par la question (le GATT et l’OMC en particulier) ont admis de manière générale que les Etats puissent sous certaines conditions protéger leurs marchés au moyen de droits de douane et de diverses impositions, justifiant par là-même la subsistance d’une administration spécialisée et efficace. Pour autant, la tendance générale à l’échelle mondiale a été à l’abaissement important des droits de douane eux-mêmes, même si certains d’entre eux restent élevés. S’y sont ajoutées des exceptions d’ordre général, telles que celles qui concernent les unions douanières, les zones de libre échange, les pays en voie de développement. Inversement, il a été admis que des secteurs particuliers pouvaient bénéficier dans certains cas d’une protection renforcée, comme l’agriculture ou les textiles. De même sont vues avec beaucoup de réticences le dumping et les subventions à l’exportation qui peuvent fausser les conditions de la concurrence.

 

Le rôle de la Douane était donc à l’origine essentiellement fiscal. Elle permettait au souverain, local ou national, de se procurer une partie des ressources dont il estimait pouvoir profiter. Tel est d’ailleurs encore le cas dans l’Union européenne où les droits de douane perçus sur les marchandises entrant dans le territoire de l’Union et qui y sont soumises font partie de ses « ressources propres », qui ont ainsi échappé aux Etats membres. Ce n’est pas pour autant que la Douane se désintéresse de la perception de ces droits, ce qui la conduit à porter une attention soutenue à la marchandise qui franchit la frontière.

 

Il s’agit là d’une tâche particulièrement complexe tant les éléments de la taxation recèlent des difficultés majeures. Il appartient tout d’abord à la Douane de vérifier si la marchandise répond bien aux conditions de son entrée sur le territoire douanier, c'est-à-dire si elle ne fait pas l’objet d’une prohibition tenant à sa nature. Tel est le cas des stupéfiants, par exemple, ou celui de certains animaux dont l’espèce est protégée. Cela nécessite que soit attribuée à toute marchandise une espèce tarifaire dont les caractéristiques sont définies par une nomenclature élaborée au niveau le plus élevé. Non moins essentielle est la détermination de l’origine de la marchandise, celle-ci s’entendant du dernier pays dans lequel elle a été récoltée, transformée ou fabriquée. Cette recherche est d’autant plus essentielle que le régime qui lui sera appliqué sera différent selon qu’il s’agit d’une origine « non préférentielle » ou « préférentielle ». Il conviendra enfin de s’intéresser à la valeur de la marchandise présentée à la Douane, celle-ci devant en principe être fixée par les opérateurs intéressés eux-mêmes sous réserve évidemment qu’ils respectent les règles complexes qui régissent la matière. Mais l’intérêt que l’administration porte à la marchandise ne s’arrête pas là.

 

Sa vocation protectrice, encouragée par l’évolution générale de la société, l’invite à participer à l’action spécifique d’autres autorités chargées principalement de faire  respecter certains intérêts et de leur apporter son concours. C’est ainsi que l’article 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet aux Etats d’interdire ou restreindre l’importation ou le transit pour « des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de la préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale ». Néanmoins « ces interdictions  ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres ».

 

Mais l’intrusion de la Douane dans le monde complexe des affaires internationales en a fait progressivement une institution directement intéressée par la criminalité organisée et, par là-même, aux multiples formes que revêt celle-ci : trafic de stupéfiants, d’armes et de munitions, réseaux de prostitution, blanchiment d’argent et, naturellement, fraude fiscale. On mentionnera, quoique le phénomène présente des traits bien particuliers, l’immigration clandestine dans la mesure où ce phénomène de masse procure aux « passeurs » d’importantes ressources.

 

Les pouvoirs de contrôle sur le passage des frontières ne se borne donc pas à la surveillance des marchandises qui les franchissent. Ils s’exercent également sur les personnes elles-mêmes dont il convient de vérifier si elles remplissent les conditions d’accès voire de séjour sur le territoire. Celles-ci sont en effet parfois satisfaites sur la  base de la simple présentation d’un document tel qu’une carte d’identité ou d’un passeport. Il en va autrement lorsque l’admission est soumise à l’exigence d’un visa.

 

Des informations multiples recueillies ainsi par la Douane dans l’exercice ordinaire de ses missions peuvent résulter de nombreux éléments qui intéressent diverses institutions chargées de la poursuite et de la répression des activités délinquantes. Elle apparaît alors comme leur auxiliaire privilégié et de plus en plus éloigné de son origine « fiscale ». Faudrait-il pour autant la transformer en une nouvelle entité, que l’on nommerait peut-être « Police des échanges extérieurs » ? Le débat pourrait en tout cas s’ouvrir. Pour l’instant, en revanche, rien n’interdit de rechercher si la Douane ne devrait pas se voir attribuer un nouveau domaine d’action, à savoir l’encouragement à l’activité internationale des entreprises.                                

 

B. L’encouragement à l’activité internationale des entreprises

 

Encore que l’idée ne soit pas complètement écartée par une partie de l’opinion publique, rien ne serait plus inexact que de considérer que, du fait même de son existence, la Douane constitue un obstacle à l’activité internationale des entreprises. Devant les menaces  d’une crise au sein de l’Union européenne, ne voit-on pas mettre au premier plan, pourtant, les prétendus dangers inhérents à la réapparition de la Douane dans les échanges intracommunautaires ? Une observation objective de la situation conduit pourtant à prendre en compte l’évolution de son rôle contemporain, qui consiste, d’une part, à adapter les techniques douanières aux besoins des entreprises, d’autre part, à encourager les plus dynamiques d’entre elles à développer leur activité internationale.

 

Les  entreprises ont longtemps pu déplorer la charge que leur faisait subir l’exigence des formalités minutieuses et coûteuses liées au passage de la frontière. Les efforts déployés pour y remédier dans ce domaine ont été considérables et ont pris les formes les plus diverses. Ainsi ont été mises au point des procédures simplifiées ou domiciliées, développé les centres régionaux de dédouanement, adoptées des techniques de contrôle de certains véhicules (radiographie des containers) et surtout généralisation de l’usage de l’informatique. Les progrès spectaculaires qu’a connus cette dernière ont eu pour résultat une véritable dématérialisation de la plupart des opérations douanières, entraînant d’ailleurs un allégement de personnel qui suscite périodiquement des tensions sociales au sein de l’administration.

 

L’essentiel réside toutefois avant tout dans la diversification du traitement des marchandises une fois celles-ci admises à passer la frontière. L’acquittement des droits de douane proprement dits et de ceux qui relèvent de la fiscalité générale (notamment de la TVA) ne concerne plus en effet que les marchandises destinées à être consommées sur le territoire douanier. Y échappent en revanche celles qui sont placées sous un régime économique. Encore faut-il qu’elles répondent aux conditions correspondantes. Il va de soi, par exemple, que l’admission temporaire d’une marchandise ou son placement en entrepôt suppose que celle-ci demeure dans son état d’origine, contrairement à celle qui est placée sous un régime de perfectionnement actif, qui vise précisément à permettre sa transformation ou son amélioration en vue de son utilisation ultérieure. Aussi bien l’administration est-elle appelée à octroyer le régime sollicité, ce qui la fait pénétrer au plus profond de la stratégie de l’entreprise et lui ouvre la possibilité de sortir de son rôle traditionnel : rien n’interdit en effet que s’établisse un dialogue entre les intéressés et que la Douane, forte de son expérience en la matière, fournisse à l’entreprise des conseils quant au choix et aux modalités possibles de tel ou tel régime.

 

C’est alors que peut s’établir une sorte de « partenariat Douane entreprise », concept apparemment paradoxal, tant il paraît contradictoire avec la fonction « régalienne » traditionnellement reconnue à la Douane. On ne peut qu’être frappé par les nombreuses initiatives prises dans ce domaine, tant au niveau national que régional, et par l’intérêt qu’elles ont soulevé chez les milieux d’affaires.

 

Des esprits sceptiques, ou mauvais esprits, pourront toutefois se demander si le développement de certaines innovations ne porte pas atteinte à des principes fondamentaux dont le respect risque d’être parfois perdu de vue. Ainsi en va-t-il de la création par un règlement communautaire n°1875/2006 du 18 décembre 2006 d’une catégorie privilégiée d’acteurs désignés sous l’appellation d’ « opérateurs économiques agréés » qui échappent en quelque sorte au sort commun en raison du fait qu’ils respectent scrupuleusement la législation douanière et fiscale, qu’ils disposent d’une solvabilité reconnue et possèdent un système efficace de gestion des écritures commerciales et de transport, facilitant ainsi les contrôles douaniers. Les entreprises qui bénéficient de l’agrément administratif délivré à la suite d’une vérification minutieuse de leur situation se voient donc privilégiées par rapport aux autres. 0n peut alors s’interroger sur la compatibilité de ce traitement préférentiel avec le principe général d’égalité de traitement entre les opérateurs économiques, dont la République française fait un élément de sa devise. De même, comment ne pas voir là une forme d’aide à certaines entreprises dans le développement de leurs activités commerciales internationales ? Reconnaissons pourtant qu’il faudrait beaucoup d’inconscience pour suggérer de revenir en arrière sur ce point et que, à moins d’adopter, comme certain chef d’Etat étranger, une conception quasi militaire de la Douane, on ne peut que se satisfaire de voir celle-ci participer dans une mesure raisonnable à l’activité internationale des entreprises. On se trouve là d’ailleurs devant une nouvelle question fondamentale : la Douane peut-elle demeurer une institution purement nationale ?

 

II. La Douane peut-elle demeurer une institution nationale ?

 

Il ne viendrait à personne l’idée qu’en passant la frontière suisse elle a eu affaire à un douanier genevois, zürichois ou tessinois. L’idée n’a pas de sens. Revêtant le même uniforme de service que ses collègues, doté des mêmes prérogatives, il  applique aux voyageurs et aux opérateurs économiques des règles identiques au nom de l’Etat fédéral dont il est le représentant. Rien n’interdit de penser toutefois qu’une part de plus en plus importante de celles-ci trouve leur source ailleurs. Dès lorsqu’un Etat a adhéré au GATT, à l’OMC ou à l’une des multiples associations qui prétendent à des titres divers régir le commerce international, sa souveraineté dans ce domaine en est directement affectée. Cela n’empêche pas la Douane d’être considérée comme un élément fondamental de la vie d’un ensemble territorial, que ce soit un Etat ou une communauté d’Etats.

 

L’exemple de la Communauté européenne est particulièrement révélateur des difficultés que suscitent l’absence d’une Douane communautaire et le maintien dans ce domaine d’un rattachement fort à son passé national.

                                    

A. L’absence d’une Douane communautaire

 

Les historiens de l’avenir n’auront guère de difficulté à expliquer pourquoi l’Union douanière européenne, plus de soixante ans après la naissance du « marché commun », n’a pas réussi à mettre en place une administration unique, ne serait-ce qu’en raison de son passage de six Etats à plus de vingt cinq, dont certains, moins soucieux que d’autres de voir mettre en place une institution « supranationale », n’y étaient pas favorables. Déjà le renoncement à la perception du droit de douane, perçu dorénavant par la Communauté, constituait une sorte de sacrifice. L’adoption d’un Tarif douanier commun, qui portait atteinte à la souveraineté des Etats, les atteignait dans leur fonction régalienne. Encore au moins leur demeurait le monopole de la mise en  œuvre d’une politique douanière décidée par les institutions communautaires. Aussi bien n’a-t-il jamais été question d’ériger la Douane en administration communautaire malgré les suggestions de certains utopistes, allant jusqu’à imaginer de voir tous les « douaniers européens » revêtus de la même tenue…

 

Il faudrait manquer de réalisme pour prétendre que le moment est venu pourtant de se poser la question. Les missions confiées aux douaniers dans tous les pays de l’Union ne sont-elles pas suffisamment communes pour que leur soient reconnus une vocation au service de l’intérêt communautaire ? On aimerait répondre affirmativement à cette question, mais on ne saurait ignorer combien, en quelque sorte, elle tombe mal. Les événements récents, que l’on prendra bien soin ici de ne pas qualifier, démontrent s’il en était besoin que l’Europe n’est pas à l’abri de bouleversements fondamentaux. Il est trop tôt, certes, pour imaginer les conséquences économiques et politiques du retrait d’un Etat membre. Mais la simple éventualité de ce « brexit » et les réactions qu’elle suscite ne permettent plus d’affirmer que l’Union européenne est une entité définitivement entrée dans l’Histoire. Aussi bien surgissent les menaces, sans doute reflétant d’autres préoccupations sociales, de voir se rétablir les obstacles traditionnellement imputés à la Douane (ralentissement des échanges, durée des contrôles, etc.) et que l’on croyait définitivement disparus.

           

B. Le maintien du rattachement de la Douane à son passé national

 

Dans l’état actuel de la construction communautaire, il serait incongru d’envisager le  transfert des missions de la Douane à une institution administrative européenne, dont il n’existe d’ailleurs aucun exemple. Une telle création supposerait en effet une révision fondamentale des principes généraux qui gouvernent la répartition des pouvoirs publics. Rien n’interdit toutefois de s’interroger sur la complexité des problèmes que suscite le maintien de la Douane dans un cadre purement national.

 

La première question touche aux moyens dont dispose actuellement la Douane pour exercer les compétences qui lui sont reconnues .Ceux-ci ne lui sont attribués, par définition, que par les Etats eux-mêmes. Qu’il s’agisse des moyens matériels indispensables à son fonctionnement, tels que l’aménagement des bureaux et des installations de contrôle, c’est aux Etats d’y pourvoir. Il en va de même du personnel des douanes, représentants de l’autorité publique. Il tombe sous le sens que l’efficacité même de ces moyens dépend directement de l’état des finances de chaque territoire et de ses choix budgétaires, ce qui, en cas de crise économique survenant dans certains d’entre eux, crée nécessairement des distorsions nuisibles à la mise en  œuvre d’une politique douanière d’ensemble. De même faut-il admettre qu’il existe des différences sensibles entre les Etats qui placent l’administration douanière sous la tutelle d’une institution autonome, ce qui est le cas, par exemple, de la Pologne avec son « Customs Policy Department » ou de la Finlande et de son « National Board of Customs », et ceux qui la rattachent à une autorité aux vocations plus larges. On sait que la France, toujours attachée à sa tradition, a préféré maintenir la Douane dans l’orbite du ministère chargé des finances, la gestion des questions douanières incombant à la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Il peut évidemment paraître paradoxal qu’ayant perdu depuis longtemps la charge de percevoir les droits de douane elle se prévale encore de son ancienne fonction régalienne. Mais son autonomie repose surtout sur les multiples organismes spécialisés qui contribuent à son action. On pense par exemple à la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ou à « CYBERDOUANE » chargée de la lutte contre la « cyberdélinquance ».

 

Il existe enfin deux domaines dans lesquels l’héritage du passé national ne paraît pas à la veille de perdre sa spécificité malgré les exigences de la nouvelle Douane européenne. D’une part, en effet, les règles applicables en matière de contentieux douanier sont restées d’inspiration purement nationale. Ainsi la répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives a connu une évolution décisive qui s’est achevée (provisoirement ?) par la loi du 13 décembre 2011, qui confie aux tribunaux de grande instance une compétence de principe pour l’ensemble du contentieux des douanes et des contributions indirectes, sauf exception.

 

D’autre part, c’est bien le Code des douanes qui régit tout ce qui concerne la recherche, l’établissement et la répression des infractions douanières. Dérogatoire sur de nombreux points au droit pénal « ordinaire », le droit pénal douanier n’interdit pas, cela de soi, que s’instaurent certaines formes de coopération avec les institutions communautaires.

 

Conclusion

 

La Douane reste une institution vénérable reflétant les aspirations contradictoires du monde contemporain. Elle demeure avant tout un acteur de terrain, réaliste et pragmatique, conscient des difficultés et des dangers de la vie internationale. Son expérience lui rappelle tous les jours combien il faut se méfier des certitudes dans ce domaine, tant celles-ci sont trompeuses. Alors, faisons lui confiance !

 

 

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