Le management de l’origine préférentielle dans les entreprises

  

Par Gérard TESSAUD, ancien cadre des douanes françaises et ancien directeur douane d’un grand groupe automobile français, conseiller et formateur en matière douanière, auteur de l’ouvrage « Intégrer une stratégie douanière dans les ventes export » paru chez les éditions Edilivre en septembre 2016

 

 

Paris, le 12 octobre 2016

 

 

1. Un mécanisme complexe et risqué

 

Conçus pour développer les échanges commerciaux internationaux, les accords de libre-échange conclus entre l’Union européenne et de nombreux autres pays ou groupes de pays visent à réduire les taxations douanières. Ils accordent notamment de façon réciproque aux pays partenaires à l’accord, un régime préférentiel de droit de douane favorisant ainsi une meilleure pénétration des marchés.

 

Pour en bénéficier, les opérateurs doivent obligatoirement établir la preuve que les produits qu’ils exportent ont acquis l’origine préférentielle du pays de fabrication. Ce qui permet au destinataire des biens de bénéficier de droits réduits ou nuls dans le pays d’importation. Cette preuve peut être apportée par un document de type EUR1 visé par la douane du pays d’exportation, ou par une simple mention sur facture pour les opérateurs qui ont obtenu le statut d’exportateur agréé. S’ils attestent indûment d’une origine préférentielle, leur responsabilité peut être mise en cause par les autorités douanières.

 

Et c’est là que réside toute la difficulté !

 

Face à la multiplication des accords de libre-échange et l’imbrication des règles d’origine, déterminer l’origine préférentielle d’un bien devient un exercice périlleux. Pour cette raison, les opérateurs sont très souvent conduits à attribuer au produit exporté l’origine du dernier pays de fabrication, sans se soucier davantage de l’origine des produits incorporés au cours du processus complet de fabrication.

 

Car la gestion sécurisée de l’origine préférentielle exige à la fois, la maîtrise d’un environnement économique dont l’évolution constante peut perturber les données essentielles à la détermination de l’origine des matières ou composants, et la connaissance approfondie des règles d’origine dont la complexité accentue le facteur de risque lors de l’établissement des preuves d’origine.

 

Ces deux difficultés majeures exigent, pour être surmontées, une vigilance de tous les instants et une organisation interne adaptée et dédiée à la maîtrise du processus de détermination de l’origine préférentielle.

 

 

2. Les accords de libre-échange : un cadre évolutif facteur de risque

 

Dans un contexte de mondialisation des échanges internationaux, la problématique de détermination de l’origine préférentielle doit tenir compte des deux facteurs suivants :

·     La multiplication et la diversification des échanges ;

·     La multiplication des accords préférentiels.

 

2.1. Multiplication et diversification des échanges

 

L’internationalisation des schémas d’approvisionnement, notamment dans le secteur industriel, génère une multiplication et une diversification des flux. Les fabricants de produits finis doivent aujourd’hui aller chercher les composants et/ou les matières premières dans des pays de plus en plus éloignés pour faire jouer une concurrence mondiale qui leur procure les meilleurs prix. Il en résulte que de plus en plus de pays participent à l’élaboration d’un produit fini. Et plus le nombre de pays qui concourent à sa fabrication est élevé, plus la détermination de l’origine préférentielle du produit fini est complexe.

 

De plus cette situation a permis le développement d’un certain « nomadisme » des approvisionnements rendant extrêmement instable les critères liés à l’origine préférentielle. Ainsi les opérateurs doivent désormais faire face à deux évolutions dans les techniques d’achats internationaux qui sont génératrice de risques douaniers : le multi-sourcing et la volatilité des sourcings.

 

Le multi-sourcing permet de garantir un approvisionnement régulier et capacitaire des unités de fabrication. Lorsqu’un fournisseur n’est pas en mesure de livrer les quantités suffisantes d’un composant pour assurer les volumes de fabrication, l’industriel doit s’adresser à un autre fournisseur du même composant pour les quantités complémentaires ; ces divers composants ou matières premières étant incorporés indifféremment dans le produit fini.

 

Or il est fréquent que les différents fournisseurs soient implantés dans des pays différents n’ayant pas le même statut au regard des accords de libre-échange avec l’U.E. Dans une telle hypothèse, au moment de déterminer l’origine préférentielle du produit fini, il faudra connaître l’origine précise du composant réellement incorporé. Ce qui peut conduire à deux origines distinctes pour un même produit fini.

 

La volatilité des sourcings répond à la préoccupation de plus en plus prégnante des acheteurs pour trouver le composant, à qualité égale, le moins cher du marché. Ceci les conduit donc à changer de fournisseur lorsqu’une meilleure offre concurrentielle se présente. Ainsi, pendant la durée de vie de production d’un produit, l’un ou plusieurs de ses composants peuvent provenir de deux, voire plusieurs pays d’origine différents selon les sourcings retenus. L’impact sur la détermination de l’origine du produit fini est évident puisqu’elle dépendra de l’origine du composant incorporé.

 

Dans l’un et l’autre cas, les aléas liés au sourcing sont donc un facteur important de risque pour la détermination de l’origine préférentielle, et il est indispensable, pour se mettre à l’abri de ces aléas, de disposer d’un processus intégré de traçabilité des flux. Ce dont disposent très peu d’opérateurs.

 

2.2. Multiplication des accords de libre-échange

 

Les négociations commerciales engagées au sein de l’OMC se traduisent par une multiplication des accords de libre-échange, en vigueur ou en négociation. Il en résulte que le nombre de pays pour lesquels les exportateurs peuvent solliciter un régime préférentiel est de plus en plus élevé obligeant ces exportateurs à examiner au cas par cas les règles d’origine applicables.

 

De plus, ces accords organisent au niveau bilatéral, régional ou multilatéral, un système de cumul, générant une interaction des règles d’origine entre les différents accords, et créant pour les opérateurs une complexité inextricable pour la détermination de l’origine préférentielle d’un produit.

 

Si l’on ajoute à cela l’émergence de nouveaux accords du type U.E./Corée du Sud, contenant des règles d’origine particulières, on comprend mieux les difficultés opérationnelles auxquelles sont confrontés les opérateurs.

 

 

3. Les règles d’origine préférentielle : une mise en œuvre risquée

 

Le critère de l’ouvraison suffisante ou de produit suffisamment ouvré est un critère commun à tous les accords. Ce critère permet d’attribuer à un produit, l’origine préférentielle du pays dans lequel l’ouvraison ou la transformation réalisée a eu pour effet de classer le produit fini sous une position tarifaire différente de celle du produit de base mis en œuvre. Si cette règle était le seul critère d’obtention de l’origine préférentielle, la problématique ne présenterait pas de grandes difficultés d’application.

 

Mais, pour un grand nombre de produits, repris dans une liste annexée aux accords, il convient de respecter également des critères d’ouvraisons supplémentaires. Sans entrer dans le détail, soulignons seulement que la correcte application de ces critères requiert de la part de l’opérateur une parfaite connaissance du processus de fabrication en amont des composants afin de déterminer notamment :

 

·     Les ouvraisons spécifiques qui ont eu lieu à différents stades de fabrication ;

·     L’origine des composants ou matières qui ont été incorporés ;

·     Le taux d’intégration local…

 

Une règle d’origine préférentielle prévoyant qu’un taux d’intégration minimum doit être réalisé dans le pays de fabrication, oblige l’opérateur à maîtriser un certain nombre de facteurs pour garantir la fiabilité du calcul de ce taux. Or, ces facteurs sont variables en fonction des éléments suivants :

 

·   Sourcing multiple pour un même composant dont le prix peut varier en fonction du fournisseur. Dans ce cas, seule une parfaite traçabilité des composants incorporés peut garantir la fiabilité du taux d’intégration.

·   Variation du prix des matières premières (métal, céréales…). C’est un élément qui peut compromettre gravement le taux d’intégration et qui exige un contrôle et un suivi très fréquent des taux d’intégration et du prix des matières incorporées.

·  Changement de composition du produit fini qui peut faire varier la proportion de composants ou de matières de base sans changer la nature du produit fini, mais entraînant une modification du taux d’intégration. Là encore, un processus de contrôle et de suivi doit être mis en place pour garantir la fiabilité des taux d’intégration.

 

On comprend dès lors que la complexité de telles règles fasse peser sur les opérateurs un risque d’erreur qui peut entraver gravement la compétitivité recherchée au travers des accords de libre-échanges.

 

 

4. De la nécessité d’une organisation adaptée

 

Le développement des flux d’exportation repose en partie sur les avantages que les accords préférentiels peuvent procurer aux acheteurs des pays associés à l’U.E. Pour cela, l’exportateur doit établir la preuve que le produit répond aux critères d’origine définis dans l’accord applicable.

 

Quel que soit le mode de preuve utilisé (Certificat EUR, Déclaration d’origine sur facture, Renseignement contraignant…), la détermination de l’origine du produit résulte d’une démarche structurée visant à collecter et sécuriser l’ensemble des données nécessaires à la justification.

 

Cette démarche implique nécessairement, de façon transversale, divers acteurs internes et externes à l’entreprise.

 

Tout d’abord, ce sont les acheteurs qui gèrent les sourcings des composants en fonction de leurs objectifs de rentabilité. La question de l’origine préférentielle des produits finis doit faire partie intégrante de leur démarche afin d’optimiser la compétitivité globale du processus commercial.

 

Dans la mise en œuvre de ce processus complexe, les fournisseurs doivent également être sollicités. Cette contrainte est d’ailleurs la cause de nombreuses réticences de la part des exportateurs qui estiment cette démarche aléatoire, les fournisseurs n’y adhérant pas forcément. C’est pourtant eux qui doivent attester de l’origine des composants livrés via les « déclarations long terme » (DLT).

 

Le secteur de la production sera naturellement impliqué. Il maîtrise notamment la composition du produit fini et le processus de fabrication lesquels peuvent être adaptés en fonction des critères d’origine des accords. Des actions sur les ouvraisons réalisées ou sur le niveau d’intégration peuvent être mises en œuvre.

 

La logistique joue un rôle important et doit être associée au processus de détermination de l’origine préférentielle. De la conception des schémas de transport dépendra en effet le respect de la clause de transport direct exigée pour l’application des règles d’origine.

 

Le service douane de l’entreprise ou l’entité en charge des problématiques douanières, seront conduits à récupérer toutes les données des fournisseurs (DLT) et des acteurs internes, les analyser et les maintenir à jour, afin de déterminer pour chaque produit fini son éligibilité aux régimes préférentiels. Il établira le cas échéant, les documents justificatifs de l’origine préférentielle.

 

Dans la plupart des entreprises dont l’activité porte sur un grand nombre de produits, la gestion de ces données nécessite en plus, l’utilisation de bases de données, lesquelles font intervenir les services informatiques pour la création de fiches produits/pays, l’identification des coûts des composants, le calcul des taux d’intégration…

 

D’autres acteurs internes peuvent être également sollicités selon le cas (contrôle de gestion, contrôle interne…). Mais pour qu’elle soit efficace, l’action de ces différents acteurs doit être coordonnée et animée autour d’objectifs de performance communs.

 

Lorsque ce type d’organisation ne peut être mise en place, le niveau de risque lié à la détermination de l’origine préférentielle restera très élevé, à moins que la nature des produits considérés ne justifie pas un tel niveau de maîtrise.

 

 

 

Conclusion

 

Pour faire face à la multiplication et l’interaction des accords de libre-échange qui génèrent une véritable complexité des règles d’origine, le management sécurisé de l’origine préférentielle implique dans l’entreprise une étroite coordination des différents acteurs.

 

Or, notre expérience montre que la plupart des opérateurs ont une connaissance sommaire et parfois erronée des règles d’origine préférentielle et, par voie de conséquence, ne disposent pas d’une organisation ad hoc apte à établir les preuves d’origine de façon fiable. Les pratiques empiriques et récurrentes constatées, visant à attribuer ipso facto aux produits, l’origine du pays de fabrication, ne mettent pas à l’abri des contrôles douaniers de plus en plus fréquents sur ces questions. En l’absence de justificatifs probants, le risque contentieux est très élevé. De même, lorsque les opérateurs confient les formalités douanières à des commissionnaires en douane, ce sont souvent ces derniers qui établissent les justificatifs d’origine sans aucune connaissance du produit fini et de son éligibilité réelle au régime préférentiel sollicité.

 

D’où l’intérêt pour chaque exportateur qui doit établir des preuves d’origine, de s’interroger sur la situation de chacun de ses produits destinés à l’exportation au regard des règles d’origine applicables. Il convient en effet de ne pas oublier qu’une preuve d’origine inapplicable, établie dans le pays d’expédition, aura si elle est contestée dans le pays de destination, un effet négatif sur le niveau des droits de douane acquittés par l’importateur. Outre les aspects contentieux déjà évoqués, c’est la pénétration des marchés qui est en cause. Il n’est donc pas inutile d’anticiper la démarche en envisageant une organisation adaptée, laquelle peut être renforcée par un outil informatique dédié au calcul des origines.

 

 

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