Les clés pour éviter le partage de responsabilité entre importateurs et distributeurs en cas de non-conformité des produits à la règlementation européenne

 

Entretien avec Maître Neli SOCHIRCA, Avocat

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Dr en droit, Altaprisma

Paris, le 27 septembre 2022

 

Altaprisma : Merci d’avoir trouvé le temps de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?  

 

Me Neli SOCHIRCA : Merci de m’y avoir conviée. Je suis avocat au barreau de Paris, intervenant principalement en droit des affaires et en droit des produits. Après plusieurs années en tant qu’avocat collaborateur au sein de cabinets d’affaires et en droit des produits alimentaires et non-alimentaires, j’ai fondé mon propre cabinet en 2018 - Avokans – qui développe une démarche d’accompagnement de A à Z des entreprises et de leurs produits, sur tous projets et problématiques corporate, contractuelles, commerciales et règlementaires (www.avokans.com). Depuis 2019, j’ai cofondé et je préside l’AAJR (Association des Avocats et Juristes Roumanophones en France), inscrite au sein du Barreau de Paris.

 

Altaprisma : Il n’est pas rare que des litiges apparaissent entre importateurs et distributeurs au sujet de la non-conformité des produits à la réglementation européenne (produits alimentaires, électroniques, etc.). En principe, un importateur établi en UE doit s’assurer que les produits qu’il importe sur notre territoire douanier communautaire soient conformes à la réglementation européenne. En cas de non-conformité à la réglementation en question, pourquoi les importateurs cherchent-ils alors à se « dédouaner » de toute responsabilité, mettant en avant le fait qu’il incombe aux distributeurs français/européens de s’assurer de la conformité des produits à la réglementation européenne et cela avant de passer commande ?    

 

Me Neli SOCHIRCA : Lorsque les importateurs tentent de se « dédouaner » de leur responsabilité, ils songent en général aux obligations propres aux distributeurs afin de se décharger sur ces derniers du respect de la réglementation européenne. Est-ce une stratégie efficace ? - oui et non.

 

Oui, car les distributeurs ont leurs propres obligations en matière de conformité et de sécurité des produits qu’ils mettent sur le marché. Les importateurs n’ont donc pas tort sur le principe.

 

Non, car cela ne signifie pas que les importateurs n’aient aucune obligation de leur côté. Tout au contraire, les importateurs étant assimilés aux fabricants par la jurisprudence, lorsqu’il s’agit de déterminer les obligations des uns et des autres, ils sont en général ceux qui « sont touchés en premier » et le plus fort.

 

En effet, le droit répond clairement à cette question et, au fil de la jurisprudence qui est venue le préciser, la solution suivante s’est cristallisée : chaque exploitant est responsable des activités qu’il a sous son contrôle, qui dépendent de sa place dans la chaîne de commercialisation. La question à se poser est donc de savoir quelle est l’activité sous le contrôle de l’un et de l’autre opérateur, pour savoir jusqu’où vont ses obligations.

 

Comme indiqué plus haut, la jurisprudence assimilant l’importateur au fabricant, ses obligations sont les plus sévères et complètes.

 

Il n’en va pas de même du distributeur, qui n’est pas assimilé au fabricant. Ses obligations sont donc d’un degré plus faible, sans pour autant faire défaut.

 

Donc, les importateurs ne peuvent pas légalement se « dédouaner » de leur responsabilité en matière de conformité et sécurité des produits qu’ils importent dans l’UE, sur leurs distributeurs.

 

Altaprisma : Pour éviter tout germe de litige éventuel entre importateurs et distributeurs, ne serait-il pas indiqué d’inclure systématiquement dans le contrat liant ces deux parties une clause selon laquelle la responsabilité en matière de non-conformité des produits à la réglementation européenne soit clairement précisée ?    

  

Me Neli SOCHIRCA : Il convient d’emblée de rappeler que la responsabilité en matière de conformité des produits n’est pas toujours un sujet flou. Elle varie selon la place de chaque opérateur dans la chaîne de commercialisation. Il existe une jurisprudence fournie et constante, qui permet de déterminer assez clairement où commence l’obligation de l’un, et où s’arrête l’obligation de l’autre. Par exemple, selon les juges, la fourniture par l’importateur d’un certificat de conformité qu’il a obtenu auprès de son fournisseur hors-UE, est insuffisante pour le dédouaner de sa responsabilité car l’importateur, assimilé au fabricant, doit effectuer lui-même les analyses de conformité qui s’imposent. Coté distributeur, la jurisprudence considère qu’il n’est généralement pas tenu d’effectuer un contrôle systématique de chaque produit et qu’un contrôle documentaire suffit.

 

Cela dit, un contrat bien rédigé peut permettre d’organiser un partage d’obligations et donc de responsabilités ; néanmoins, les situations de non-conformités sont si hétérogènes qu’une seule clause, aussi bien rédigée soit-elle, ne peut pas toujours tout couvrir. Il est donc conseillé de combiner la solution contractuelle, avec une attention particulière à porter, du côté de l’importateur, à ses relations avec ses fournisseurs hors-UE et en particulier aux documents de conformité que ceux-ci lui fournissent.

 

En outre, dans un contrat entre importateur et distributeur, une clause répercutant toutes les obligations sur le distributeur, risque d’être inefficace en pratique ; en effet, une telle clause peut être considérée comme une tentative pour l’importateur d’échapper à ses obligations essentielles, à savoir fournir un produit conforme au distributeur, ce qui est interdit en application de l’article 1170 du Code civil, qui dispose que « Toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».

 

Enfin, en matière de non-conformité des produits, les sanctions sont souvent d’ordre pénal, par exemple s’agissant d’une tromperie sur les qualités essentielles des produits ; la crainte principale des opérateurs, soient-il importateurs ou distributeurs, est donc d’éviter d’aller sur ce terrain-là, or une clause contractuelle ne permet pas d’aménager la responsabilité pénale, ni de s’en dédouaner sur un tiers… Le contrat seul ne suffit donc pas, bien qu’il reste un outil précieux.

 

Altaprisma : En cas de non-conformité des produits à la réglementation européenne, l’importateur aurait-il la possibilité de se retourner contre le fabricant (situé lui dans un pays tiers) ?

 

Me Neli SOCHIRCA : aux yeux des autorités françaises (ou d’un autre Etat-membre de l’UE), cela n’aura pas d’incidence en termes de responsabilité, car l’importateur est assimilé au fabriquant pour la détermination de ses obligations ; En revanche, l’intérêt de se retourner contre le fournisseur d’un pays tiers existe, et il est notamment financier, pour obtenir une indemnisation, d’où l’importance de soigner la rédaction des contrats avec eux.

 

Altaprisma : Quels conseils pourriez-vous donner aux importateurs et aux distributeurs pour éviter des situations litigieuses en la matière ?  

 

Me Neli SOCHIRCA : en fait vous me demandez d’être « l'avocat du diable » en conseillant deux acteurs aux intérêts opposés dans ce type de situations. Je relève le défi :

 

Premièrement, un contrat bien rédigé est toujours conseillé car il permet de prévenir, plutôt que de guérir. Les parties pourront ainsi fixer quelles preuves de conformité sont recevables, en exclure d’emblée d’autres (ex. les analyses émanant de laboratoires établis hors UE), organiser les sorties de certaines impasses non abordées par la réglementation (par exemple, que faire si deux analyses « recevables » aboutissent à des résultats contradictoires), prévoir des barèmes d’indemnisation, des obligations d’information mutuelle et de coopération, etc.

 

Deuxièmement, il est conseillé de communiquer, réagir rapidement lorsque l’un, ou l’autre, apprend l’existence d’une non-conformité ; en effet la législation en matière de conformité est destinée surtout à la protection des consommateurs ; aussi, on ne pardonne pas à un opérateur, importateur ou distributeur, d’avoir su qu’un produit présente un problème (même hypothétique), mais ne pas l’avoir immédiatement communiqué à ses partenaires commerciaux pour qu’ils puissent, de leur côté, stopper les ventes ne serait-ce qu’à titre conservatoire ; souvent, les litiges naissent de l’ignorance de cette obligation de célérité en matière de transmission de l’information ; le distributeur qui n’aura pas communiqué rapidement à l’importateur, ou vice versa, pourrait donc voir sa responsabilité aggravée de ce fait ;

 

Troisièmement, chaque partie devrait avoir un service juridique et qualité fonctionnel, soit en interne soit en externe, pour « tailler sur mesure » leurs process, mais aussi leurs contrats, par rapport à la typologie de chaque produit ; les obligations varient en effet d’un produit à l’autre, aussi il est crucial d’adapter ses pratiques commerciales et contractuelles à chaque catégorie de produit en particulier.

 

Ces exemples sont, bien sûr, non limitatifs.

 

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages. 

Me Neli SOCHIRCA : je vous remercie également, ce fut un plaisir.  

 

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