Le risque douanier

 

Entretien avec Monsieur Amar C. Djebara

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie Radu, Dr. en droit, Altaprisma 

 (formations douane, transport & logistique à l'international)

 

Paris, le 28 septembre 2015

  

Altaprisma : Merci d’avoir accepté l’idée et trouvé le temps de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?  

 

A.C. Djebara : Diplômé de l’Ecole nationale d’administration (Alger : 1971-1976), j’ai exercé au sein de l’administration des douanes algériennes de 1978 à 1993. J’enseigne depuis la matière douanière dans des établissements spécialisés. Je suis souvent sollicité par des cabinets internationaux pour s'associer à des programmes de renforcement des capacités des administrations, et également pour apporter des appuis personnalisés à des organismes et associations professionnelles. Mon centre d'intérêt gravite autour des matières : douanière, commerciale, fiscale, environnementale et logistique. Je m’adonne volontiers à des tâches de consultation en marge de mes activités d’éditeur d’ouvrages techniques. Enfin, je collabore, par des contributions techniques, dans des revues spécialisées.  

 

 

Altaprisma : Comment définiriez-vous le risque douanier ? Quels sont selon vous les principaux risques sur le plan douanier pour les opérateurs économiques œuvrant à l’international ?  

 

A.C. Djebara : Le risque est une notion difficile à cerner et qui aurait plusieurs significations. Celle qui me semble la plus proche du sujet est issue du « référentiel ISO Guide 7 – Vocabulaire du management du risque », qui livre des éléments pour une  définition  appropriée : « Le risque est l’effet de l’incertitude sur l'atteinte des objectifs ». Sur le plan douanier, le sujet est appréhendé de deux manières, à savoir : la gestion des risques prévue par les instruments juridiques de l’Organisation mondiale des douanes (conventions et recommandations) d’une part et les risques encourus par les opérateurs lors du passage en douane de leur marchandise d’autre part. C’est cette deuxième notion qui, me parait-il, est l’objet de votre question.

 

Il convient de reconnaître que pour l’opérateur, assigner à la marchandise un régime douanier consiste en l’accomplissement d’un certain nombre de formalités souvent complexes. Réussir le dédouanement d’une marchandise au moindre coût requiert une appréciation des différents risques. L’incertitude, liée au passage en douane comporte des risques multiples pour les opérateurs ; c’est pour cela que les acteurs du commerce international tentent d’appréhender le risque douanier.

 

L’absence de maîtrise des données douanières et logistiques peut générer des risques relevant de l’ordre financier, logistique et pénal. Sur le plan douanier, par exemple, le choix inapproprié d’un commissionnaire en douane pour effectuer les opérations de dédouanement peut avoir des conséquences fâcheuses. Elles se manifestent à travers des contentieux portant sur les éléments de taxation ou l’absence de pièces justificatives liées à l’opération envisagée. Pour illustrer mes propos, une simple omission ou inexactitude portant sur l’une des indications que la déclaration en douane doit contenir est qualifiée de contravention de 1ère classe, et fait encourir une amende de 15 000 dinars algériens (environ 125 euro) par déclaration (article 319 du Code des douanes algérien). Sur un autre registre, une baisse de vigilance en matière de respect des délais liés aux engagements souscrits auprès des services des douanes peut entraîner des contentieux parfois lourds de conséquence. La liste est longue, cela dénote l’ampleur des risques encourus en matière douanière.

 

 

Altaprisma : En matière de risques douaniers, peut-on parler des spécificités propres aux pays développés et aux pays en développement ?  

 

A.C. Djebara : Les douanes des pays développés ont accompli d’importants progrès en matière de dématérialisation des procédures de dédouanement : les systèmes informatiques de dédouanement sont fiables et sécurisés, les commissionnaires en douanes sont hautement professionnels, l’environnement juridique ou informationnel est à bien des égards transparent, ce qui réduit d’une manière significative les risques liés aux opérations de commerce international. En plus, les pays membres de l’Union européenne (UE), par exemple, se sont installés dans une sorte de compétition pour développer l’attractivité par des mesures de facilitation et de simplification douanière (voir les 40 mesures prises en faveur des entreprises et annoncées par Mr. Christian Eckert, Secrétaire d’Etat chargé du Budget, lors d’une Conférence ayant comme sujet « Dédouanez en France », Paris/Bercy, le 22 septembre 2015). Mais ce qui est propre aux pays européens (UE) relève d’une sorte de « cacophonie » concernant la mise en œuvre des dispositions douanières de l’Union, dans le régime juridique des infractions et des distorsions constatées dans les sanctions douanières qui s’y rattachent. Cela développe chez certains opérateurs de l’Union un sentiment d’insécurité juridique.      

  

Quant aux pays en développement, les systèmes informatiques de dédouanement sont en construction et parfois vulnérables sur plan de la sécurité des bases de données. La dématérialisation des procédures de dédouanement vit ses premiers balbutiements. L’environnement informationnel est caractérisé par l’opacité, ce qui ne réduit pas les incertitudes et par conséquent, développe les risques liés au passage en douane des marchandises. Dans de nombreux cas, les atteintes à l’éthique professionnelle y trouvent un terrain de prédilection, ce qui ne diminue en rien les efforts déployés çà et là pour améliorer la situation dans son ensemble.    

  

Les pays en développement subissent également les contingences des perturbations de l’économie mondiale, ce qui conduit leurs gouvernements à introduire des correctifs, le plus souvent par des lois de finances ou lois de finances complémentaires. Les nouvelles mesures ont pour vocation soit d’alourdir la charge fiscale sur les marchandises, soit d’introduire de nouvelles restrictions. Les opérateurs se trouvent alors placés dans une situation d’imprévisibilité qui perturbe la stabilité des transactions et entraîne des surcoûts logistiques. C’est dire que les facteurs liés à la notion de risque sont à géométrie variable.

 

 

Altaprisma : Quels seraient, selon vous, les mesures à mettre en place au sein des entreprises tournées à l’international afin de limiter les risques en matière douanière ?

 

A.C. Djebara : Les opérateurs économiques sont invités à assumer des choix, en fonction des volumes d’importations et ou d’exportations de marchandises. Dans le cadre d’une stratégie à élaborer et à mettre en œuvre, les opérateurs sont appelés à introduire la composante douanière et logistique au sein de leur entreprise, ou l’externaliser auprès des bureaux conseil, qui se sont distingués par leur professionnalisme. Rappelons au passage que le commissionnaire en douane chargé des opérations de dédouanement n’a pas, à mon sens, vocation à assumer d’autres fonctions que celles pour lesquelles il est destiné. En plus, les entreprises ne doivent pas lésiner sur la formation technique (douanière, fiscale, commerciale et logistique) de leur personnel chargé des approvisionnements notamment.   

  

En structurant leur activité à l’international, les opérateurs seront mieux inspirés à promouvoir la fonction de « sourcing » pour explorer toutes les opportunités offertes par les conventions pour tirer profit des réductions et/ou exonérations des droits et taxes. Ils bénéficieront également à ce titre d’un meilleur avantage de tous les « gisements de facilitations » offerts par le dispositif conventionnel (Convention de Kyoto et Istanbul). Le nouveau statut  d’opérateur économique agréé offre aussi des avantages qui rentrent dans le cadre de l’optimisation des procédures douanières.

 

 

Le mot de la fin

 

A.C. Djebara : Réduire les risques dans les opérations de dédouanement relève du professionnalisme des acteurs du commerce international, mais aussi de la bienveillante disposition de la Douane. Le nouveau statut d’opérateur économique agréé a pour vocation d’imprégner confiance et sérénité dans les relations entre la Douane et les entreprises pour réduire ainsi les risques. Sophocle (poète et tragédien grec) l’avait bien affirmé : « Plus faibles sont les risques, meilleure est l'entreprise »

 

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.   

 

 

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