La nécessité de renforcer la formation et la rechercheen matière douanière

Entretien avec Monsieur Jean Sliwa, ancien cadre supérieur des douanes françaises, auteur d’ouvrages sur l’import-export et les contrôles

 

Propos recueillis par Ghenadie Radu, Dr. en droit, Altaprisma

(formations douane, transport & logistique à l'international)

 

Paris, le 9 mai 2016

 

  

Altaprisma : Merci d’avoir accepté l’idée et trouvé le temps nécessaire de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?  

 

J. Sliwa : Fonctionnaire des douanes, j’ai exercé mes fonctions durant plusieurs années en surveillance, puis dans les opérations commerciales comme inspecteur et cadre supérieur.

 

Dans ce domaine du dédouanement, j’ai notamment été chargé de contrôles physiques, sur pièces et a posteriori dans les écritures et comptabilités des entreprises, puis j’ai occupé les postes de receveur de bureaux de douane et de fondé de pouvoir dans une Recette régionale. Ceci au contact des dirigeants, des comptables, des acheteurs et vendeurs de ces entreprises importatrices et exportatrices, des commissionnaires en douane, des transporteurs, des gestionnaires d’entrepôt, des chargés de cautionnement, qui m’ont beaucoup appris sur leur activités et leurs problématiques.

 

Ces connaissances et l’expérience acquises m’ont amené, dans le même temps, à animer des formations au niveau local, dans les écoles des douanes ainsi qu’à l’étranger puis durant deux années comme vacataire au CNAM et dans un IUT, et ensuite à écrire entre autres trois livres qui témoignent autrement de mon intérêt pour la formation : « L'audit, les contrôles internes et les fraudes », « Le Guide des contrôles comptables », « L’import-export présenté, expliqué et commenté aux TPE et PME », publiés aux éditions Emerit Publishing en 2011 et 2014 et aux éditions du Puits Fleury, en 2016.

 

Altaprisma: Fait bien connu, ces dernières décennies la formation en matière douanière a été injustement marginalisée. Qu’en est-il aujourd’hui ? L’intérêt par rapport à cette matière, réputée pour sa complexité, commence-t-il à se manifester ?   

 

J. Sliwa  : Au contact des différents intervenants précités, jeunes et moins jeunes, débutants ou personnes expérimentées, des étudiants, j’ai pu mesurer l’intérêt de la nécessité de maîtriser une matière en effet complexe, changeante, évolutive, et corollairement de ce besoin de formation et de savoir-faire à un haut niveau.

 

Comme Altaprisma et d’autres professionnels du secteur sans doute, j’ai également constaté que, si de nos jours quelques formations initiales de la matière douanière existent à l’université, dans les IUT, dans des écoles de commerce, aux niveaux BAC + 2 ou + 4/5, dans les faits :

 

1) elles s’intègrent généralement dans un programme privilégiant les transports, le stockage, la logistique dans son ensemble, le commerce international, la vente, le management, la négociation, sans suffisamment s’appesantir sur cette matière, pourtant considérée comme exigeante ;

 

2) ces formations ne sont donc pas véritablement consacrées à l’obtention de connaissances et d’un diplôme pour l’exercice du métier de déclarant en douane, dans tous ces aspects ;

 

3) cette matière douanière est souvent perçue comme étant une formalité, plutôt qu’une matière à part entière. D’où certaines insuffisances dans l’enseignement, comme par exemple en ce qui concerne le classement tarifaire, domaine pourtant prioritaire et essentiel au dédouanement qu’il convient de maitriser.

 

Ces insuffisances de formation théorique et de maîtrise par les étudiants touchent aussi particulièrement, à mon avis :

- les langues étrangères et notamment l’anglais ;

- l’outil informatique de dédouanement, dans les universités principalement.

 

D’où l’intérêt pour ceux et celles qui souhaitent s’inscrire dans cette perspective d’acquisition d’une qualification et d’un emploi axée principalement ou exclusivement sur cette matière douanière, d’opérer le bon choix, de suivre les formations spécifiques existantes qui répondent précisément à leurs souhaits.

 

Altaprisma: L’article 39, point d), du Code des douanes de l’Union, applicable dans tous ses éléments à partir du 1er mai 2016, lie l’octroi du statut d’Opérateur Economique Agréé (OEA) au critère de « compétence ou de qualifications professionnelles ». Dans les faits, qui arrête la liste des compétences à posséder et autres qualifications à acquérir en la matière ? Vers quelles Universités, Ecoles de commerce et/ou autres organismes de formation (publics/privés) se tourner pour se former en douane ?  

  

J. Sliwa : La meilleure des formations est à mon avis celle qui peut être suivie en alternance. L’enseignement théorique (l’apprentissage indispensable des réglementations) et pratique (l’acquisition d’un savoir-faire tout autant nécessaire) doit notamment permettre aux étudiants, en entreprise d’import-export, chez un commissionnaire en douane, avec l’aide d’un tuteur, de se familiariser avec le tarif des douanes dans toutes ses composantes (classement tarifaire, origine, valeur, taxation, …), les outils informatiques de dédouanement et la gestion d’un dossier, des opérations, des procédures, des relations clients et avec l’administration, des litiges et du contentieux.

 

Pour exercer le métier de déclarant, de gestionnaire des achats à l’importation, de commercial ou de chargé export, pour cette partie douane, une année de formation est à mon avis la durée utile, dans ce contexte d’alternance et d’acquisition d’une qualification reconnue.

 

S’agissant des « anciens » et des plus jeunes qui ont appris sur le tas et participé à des formations ponctuelles organisées le plus souvent par les CCI, localement, qui possèdent les compétences requises, on peut leur recommander de faire valoir dès que possible leurs acquis et de les valider, pour disposer d’une reconnaissance de qualification qu’ils méritent souvent amplement. Ce qui n’est pas toujours le cas et est un peu oublié, me semble-t-il.

 

Les compétences et qualifications professionnelles au sens exposé dans la question sont représentées finalement par les aptitudes et capacités des intervenants à gérer une opération de bout en bout, un statut d’opérateur dans tous ces aspects, d’où la nécessité d’acquérir ces connaissances et ce savoir-faire, attestés par les diplômes et les certifications précitées, qui leur sont indispensables. Ceci répond entre autres conditions aux dispositions de l’article 27 du Règlement d’exécution 2015/2447 de la Commission du 24 novembre 2015 pour l’obtention du statut d’opérateur économique agréé.

 

En ce qui concerne les contrôles réalisés a posteriori dans les entreprises, il convient de souligner qu’ils sont aussi le moyen pour leurs personnels de s’informer auprès des enquêteurs sur les différents aspects du dédouanement qu’ils méconnaissent (les points de réglementation, les procédures) et sur les entités qui peuvent les accompagner : les commissionnaires en douane, les cellules conseil des douanes, les chambres de commerce, etc.

 

Altaprisma: Alors que la bonne connaissance des principales notions et techniques douanières apparaît comme un avantage concurrentiel indéniable à l’international (stratégie et ingénierie douanière, maîtrise du risque douanier, optimisation des opérations douanières, etc.), à ce jour il nous manque en France un vrai Centre de recherches en la matière, via lequel les chercheurs pourraient non seulement éclairer davantage les autorités dans leurs prises de décisions, mais aussi partager le plus largement possible la « science douanière » avec les entreprises. Cette « science », on le sait, rapporte beaucoup : pour ce qui est de la sphère publique, environ 13% du budget national français est constitué de recettes douanières ; quant aux entreprises, optimiser son process douane permet de dépenser moins, mais aussi de se sourcer moins cher, pour ne citer que cela. La mise en place d’un tel Centre est-elle envisageable ?         

 

J. Sliwa  :  La diffusion de la « science » douanière et de ses conditions d’application est assurée principalement par des prestataires, les conseils, les commissionnaires en douane, comme International Pratique, Conex, par les organismes de formation comme Altaprisma, les écoles de formation professionnelle comme l’Aftral, par les chambres de commerce, des magazines professionnels comme le MOCI, par les douanes, …., en interne par les chargés de l’import-export, pour résumer par des professionnels investis dans leurs fonctions qui répondent au mieux aux demandes des opérateurs.

 

La présentation et la communication dans ce domaine du dédouanement au plan stratégique, économique, des politiques menées paraissent en effet, par contre, être le fait des seules autorités nationales, européennes et internationales, et l’on peut envisager qu’elles le soient davantage par les organisations professionnelles représentatives existantes et plus encore, en plus grand nombre, en leur sein, par des personnes exerçant ces métiers du dédouanement, agissant en tant qu’organe de réflexion et de force de propositions.

 

Ou effectivement par une entité indépendante intervenant de même dans cette matière en qualité d’organe de recherche, d’analyse, de diffusion de l’information et de propositions au profit des professionnels de l’import-export, de la formation, des organisations représentatives précitées et de l’administration des douanes.

 

 

Le mot de la fin :

 

J. Sliwa  : En toute hypothèse, la formation apparaît comme le moyen d’acquérir les connaissances et compétences utiles à l’exercice dans cette matière douanière, dans les secteurs privés et publics, de métiers intéressants, enrichissants, de contacts, d’échanges, évolutifs, ouverts sur de nombreuses réglementations, sur d’autres professions, sur le monde, ce qui en fait aussi au-delà des aspects professionnels leur intérêt.

 

Je remercie Monsieur Radu de m’avoir permis de participer à cet échange et de m’exprimer sur la formation dans un domaine habituellement peu valorisé.

 

 

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.  

 

 

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