Le management opérationnel. Les aspects pratiques

 

Entretien avec Pierre RIDEAU, ancien Directeur Régional des Douanes françaises et ancien Chef de l’Ecole Nationale des Douanes de la Rochelle, Chevalier de la Légion d’honneur 

 

Propos recueillis par Ghenadie RADU, Dr en droit, Altaprisma 

 

Paris, le 22 mai 2023

 

Altaprisma : Merci d’avoir trouvé le temps de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

 

P. Rideau : Entré dans l’Administration des douanes en 1976, j’ai été nommé Directeur Régional des Douanes en 2005. J’ai exercé le commandement des Directions Régionales de Martinique (2005-2007), Auvergne (2007-2009) et Franche-Comté (2009-2013). J'ai dirigé ensuite l’Ecole Nationale des Douanes de la Rochelle (2013-2017), puis la Direction Régionale des Douanes des Pays de la Loire (2017-2019).

 

C’est dans ces fonctions que j’ai acquis une solide expérience du management opérationnel.

 

Par ailleurs, j’ai été recruté récemment comme consultant par la Banque Mondiale pour partager cette expérience dans un projet en cours à l’étranger.    

 

Altaprisma : Quand il s’agit de comprendre les bases du management opérationnel, on se pose souvent les questions suivantes, à savoir : comment faire face à une situation d'incertitude ? ; comment adapter le niveau opérationnel sans se désunir ? ; comment gérer le risque de l’écart dans un projet ? ; comment remobiliser un service opérationnel en panne de performance ? ; comment animer dans la durée un dispositif opérationnel ? ; etc. Pourriez-vous commenter ces questions en y apportant quelques éléments de réponses ?  

 

P. Rideau : Ce sont en effet des situations que tout manager rencontre dans une carrière, ensemble ou séparément, et je les ai rencontrées.

 

Or, quand on étudie ces situations sous l’ensemble de leurs aspects, puis la manière dont on les a traitées et, si possible, résolues, on se rend compte de la nécessité, en toutes circonstances, de pouvoir s’appuyer sur un socle de capacités à la fois individuelles et collectives. Il n’y a pas d’homme ou de femme providentielle, ni de formules miraculeuses, mais des engagements, des savoirs et des énergies à fédérer autour d’un projet, d’une volonté de coopération et de cohésion.

 

C’est un premier point important que celui d’identifier ces capacités, puis le rôle du manager pour les cultiver et les fédérer au service du projet collectif. En somme, convertir ces capacités en outils opératifs.

 

Le second point repose sur le fait que toute situation et tout projet se développent dans un espace-temps avec ses aléas et ses contingences, qu’ils vont acquérir leur propre dynamique, avoir un impact et provoquer des interactions, bref, constater que nous évoluons dans un environnement dont nous maîtrisons assez peu de paramètres. Cela étant, il n’existe pas de situation qui ne puisse être analysée, ni de plan d’actions qui ne puisse être réfléchi, conçu et mis en œuvre et, enfin, qui ne puisse être débriefé.

 

Ces quatre séquences (analyse, conception, mise en œuvre et bilan critique), sont pour moi le second point cardinal du management.

 

Prenons, par exemple, le cas de la situation d’incertitude. Celle-ci résulte de la difficulté à identifier l’évolution d’un contexte et donc, de la difficulté à savoir comment agir et sur quelle hypothèse. L’incertitude résulte d’une incapacité d’analyse qui devient incapacité de décision. Pendant qu’une situation évolue, devons-nous rester figés, à attendre un « signe » qui indique la direction à prendre ? Non, parce que si nous ne maîtrisons que certains paramètres, a minima, nous sommes supposés avoir défini un objectif soutenable et, après analyse, avoir réfléchi aux moyens de l’atteindre, y compris en intégrant une marge d’incertitude.

 

J’échange régulièrement avec l’entraîneur des avants d’une équipe professionnelle de rugby et je le vois travailler, pendant et après la saison, sur les profils à rechercher, les compétences à développer, faire le lien avec le centre de formation et les équipes « Espoirs » … Avant la saison, c’est le temps des objectifs, des calendriers, des moments clés avec les états de forme requis, des programmes spécifiques de préparation pour tel ou tel joueur… Avant un match, c’est - dans un échange constant au sein du staff et avec les joueurs et leurs leaders - l’analyse de l’adversaire, des paramètres de forme de ses joueurs, des profils adaptés à l’adversaire, de l’arbitrage. Bref, il y a un travail collectif sur des schémas tactiques cohérents avec la stratégie générale…et des décisions sont prises. Après le match, il analyse le résultat, débriefe le déroulé, corrige les programmes de formation…

 

L’entraineur ne maîtrise pas le vent, la pluie, les décisions arbitrales, les humeurs des uns et des autres, l’accident ou l’incident de jeu, le rebond du ballon, les plans et l’agressivité de l’adversaire, les aléas de toute sorte, mais ses joueurs et lui savent ce qu’ils veulent, ce qu’ils peuvent améliorer et ce qu’ils maîtrisent. Ils ne bâtissent pas une stratégie sur des aléas, et ils ne changent pas une stratégie en fonction d’un match.

 

Altaprisma : C’est quoi, selon vous, être un bon manager ? Quelle attitude prendre pour être à la hauteur de ses responsabilités ?  Quelles aptitudes pour un management efficace ?

 

P. Rideau : Être le garant d’un projet, le porter et le faire vivre. Placer le collectif avant l’individu (y compris soi-même), solliciter et reconnaître l’apport de chacun au collectif. Être respectueux de tous et équitable. Ecouter et tenir compte.

 

Tous ces éléments me semblent importants mais à y regarder de près, on se rend compte qu’ils peuvent s’appliquer à tous les individus au sein d’une entreprise, d’un service, quelles que soient leur rang et fonctions.

 

Ce qui caractérise alors le manager, c’est que l’impact de ses défaillances est beaucoup plus grave et préjudiciable au collectif. On pourrait dire alors que le manager doit avoir une conscience claire de l’importance de sa position d’une part, et que tout collectif devrait avoir des mécanismes de régulation efficaces en cas de défaillances d’un manager, d’autre part. C’est peut-être là un point trop souvent ignoré.

 

Altaprisma : Quel aspect du management révèle la gestion des conflits ?

 

P. Rideau : Les conflits et leur gestion montrent assez clairement le caractère systémique d’une organisation. Cela doit constituer un élément fort du management contre la tentation, toujours présente, de vouloir circonscrire un incident au lieu et au moment où il se déroule et/ou à la ou aux personnes impliquées directement. Cela est doublement important car si l’aspect systémique est ignoré dans l’analyse du problème, il le sera dans sa résolution et au lieu d’avoir réglé un problème, on a installé une situation dont les effets néfastes se produiront, tôt ou tard, avec des conséquences très lourdes. Georges Canguilhem disait « Un problème clôt n’est pas un problème résolu ». Il ne faut jamais l’oublier.

 

Altaprisma : Quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes managers pour rendre le management plus efficace, mais aussi plus humain ?  

 

P. Rideau : Ecouter, voir l’utilité de chacun, chercher des solutions plus que des coupables, rester concentré sur les objectifs, expliquer les décisions et dire le gain attendu. Accepter ses propres lacunes et vouloir les combler sous peine de les compenser par une attitude destructrice.   

 

Le mot de la fin

 

P. Rideau : Le management se prête beaucoup à la théorie, aux injonctions, aux recettes... et bien sûr, on y trouve des choses très intéressantes, d’autres un peu moins. J’ai essayé de chercher dans mon expérience professionnelle ce qui pouvait relier les situations que j’ai rencontrées et qui pourrait faire l’objet d’un projet de transmission. J’ai ensuite travaillé sur ce projet pendant des années via des échanges variés avec des managers venant d’horizons différents et en étudiant un certain nombre d’évènements historiques ou contemporains sous l’angle du management. Ce que je propose aujourd’hui est de transmettre mes connaissances en management opérationnel acquises tout au long de mon parcours professionnel à toute personne intéressée par les formations proposées notamment par Altaprisma.  

 

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.    

 

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