Les aspects douaniers et fiscaux des produits énergétiques

 

Entretien avec Monsieur Jean-Pierre Flouzat

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie Radu, Dr. en droit, Altaprisma

 (formations douane, transport & logistique à l'international)

 

Paris, le 17 mars 2015

 

 

Altaprisma : Pourriez-vous vous présenter brièvement ?

 

J.P. Flouzat : J’ai effectué la quasi-totalité de ma carrière dans le secteur énergétique ; j’ai d’abord occupé divers postes financiers, avant d’être nommé directeur fiscal de Mobil Oil Française. Puis, j’ai été en charge des activités douane-accise au sein du groupe ExxonMobil en France (pétrole et chimie) et suis devenu Customs advisor pour la zone EMEA (Europe Moyen Orient Afrique).

 

 

Altaprisma : Quelles seraient, selon vous, les spécificités des produits énergétiques sur le plan douanier et fiscal ?

 

J.P. Flouzat : Les produits énergétiques sont soumis à de nombreuses taxes (une dizaine de taxes en France portant sur les produits pétroliers, le gaz naturel, le charbon et l’électricité) et sont lourdement taxés (environ 34 milliards d’euros en 2014 hors TVA), l’ensemble étant encadré par le droit communautaire : je pense notamment à la directive 2008/118, qui établit le régime des droits d’accise qui frappent la consommation des produits énergétiques, d’électricité, et aussi de boissons alcoolisées et de tabacs ; et à la directive 2003/96, qui encadre le régime des accises pour les produits énergétiques et l’électricité, notamment les niveaux minima de taxation et les exonérations.

 

Dans les développements ci-dessous, je me suis limité à quelques taxes qui me semblent les plus complexes et j’ai donc éludé plusieurs « taxes énergie », comme par exemple la CSPE (contribution au Service Public de l’Electricité) qui a généré des recettes d’environ 6 milliards d’euros en 2014.

 

1. TICPE (ex TIPP)

 

La TICPE (Taxe Intérieure sur la Consommation des Produits Energétiques) est la principale taxe sur la consommation d’énergie (recette totale de l’ordre de 24,5 milliards d’euros en 2014, dont une fraction d’environ 11 milliards est allouée aux régions et départements). Les produits concernés sont les produits énergétiques des tableaux B et C de l’article 265 du code des douanes (CDN) destinés à être utilisés comme carburant ou combustible, ainsi que tout produit destiné à être utilisé comme carburant ou combustible en vertu du principe d’équivalence. Le fait générateur est la mise à la consommation (sortie de régime suspensif, importation ou réception intra-communautaire de produits non placés sous régime suspensif), ou la constatation de manquants. La taxation est effectuée au volume ou au poids (et non pas en fonction du prix de vente), en utilisant les taux fixés à l’article 265-1 du CDN. A noter que les régions peuvent moduler les taux des carburants routiers dans la limite d’une fourchette définie par le CDN, mais dans les faits, seules les régions de Corse et de Poitou-Charentes utilisent actuellement cette possibilité.

 

La LFI (Loi de finances initiale) de 2014 a introduit une composante carbone qui va monter en puissance ; les entreprises soumises au système d’échange de quota pour les émissions de gaz à effet de serre et grandes consommatrices d’énergie continuent à bénéficier d’un taux réduit (taux de TICPE au 31/12/2013).

 

Les déclarations sont effectuées le plus souvent de manière décadaire par le redevable, qui est la personne mettant à la consommation. La TICPE est répercutée sur les consommateurs lors de la vente. Certaines activités ou usages bénéficient d’exonérations ou de réductions de TICPE : usage autre que carburant ou combustible, double usage (usage combustible et usage autre que carburant/combustible ex : réduction chimique), procédé de fabrication de produits minéraux non métallique (ex : verre, ciment), régime des utilités (usage en usine exercée / raffinerie pour la production des produits énergétiques), production d'électricité, avitaillements, transport public, taxis, agriculteurs. A noter la complexité de gérer certaines exonérations dans un site pétrochimique intégré ; par exemple, pour le régime des utilités, une même unité peut fabriquer des produits énergétiques et non énergétiques, d’où la nécessité de déterminer des coefficients d’exonération.

 

Du point de vue de l’administration, la TICPE est une taxe très productive (même si les recettes stagnent du fait du tassement de la consommation) et facile à recouvrer puisque la collecte repose sur un nombre très limité de redevables, le plus souvent Entrepositaires Agréés. Pour les opérateurs économiques, en revanche, la gestion de la TICPE est assez lourde et nécessite des contrôles permanents. A cet égard, la meilleure pratique consiste à provisionner la TICPE à chaque sortie de produit, réconcilier la TICPE avec la provision et vérifier que la TICPE est bien répercutée aux clients.

 

2. Précompte de TVA sur les produits pétroliers énumérés au tableau B de l’article 265 du CDN

 

Les opérations antérieures à la mise à la consommation de ces produits (ventes sous douane, entreposage sous douane, fabrication sous douane, transport par pipeline) sont en suspension de TVA (art. 298 CGI). Il existe une spécificité franco-française qui consiste en l’acquittement de la TVA auprès de la douane lors de la mise à la consommation (MAC). Le calcul est effectué sur une base forfaitaire fixée tous les quadrimestres, majorée de la TICPE si celle-ci est applicable. La TVA payée à la douane lors de la MAC est déductible de la TVA due aux impôts (TVA collectée sur factures ou auto-liquidée sur factures étrangères). Par ailleurs, l’article 298 4 2° du CGI introduit une complexité additionnelle relative à la déduction de la TVA sur les biens et services sous régime suspensif.

 

3. TICGN (art 266 quinquies du CDN et circulaire du 29/04/2014)

 

La TICGN (Taxe Intérieure de Consommation sur le Gaz Naturel) s’applique au gaz naturel (liquéfié et à l'état gazeux) utilisé comme combustible. Elle est le plus souvent collectée par les fournisseurs de gaz naturel auprès de leurs clients et reversée, désormais trimestriellement, à l’Etat. La TICGN s’applique sur la quantité d’énergie livrée, exprimée en MWh ; jusqu’au 31/03/2014, le taux était de 1.19€/MWh. Une composante carbone a été introduite depuis et le tarif 2015 est de 2,64 €/MWh. Les entreprises soumises au système d’échange de quota pour les émissions de gaz à effet de serre et grandes consommatrices d’énergie continuent à bénéficier du taux réduit de 1.19€/MWh. Tout comme la TICPE, certains usages bénéficient d’une exonération. La mise en œuvre de l’exonération s’effectue avec une attestation adressée par le consommateur au fournisseur (avec un coefficient d’exonération) et une régularisation annuelle auprès du bureau de douane de rattachement. A compter du 1er avril 2014, l’exonération pour le gaz naturel utilisé pour la consommation des particuliers est supprimée.

 

4. TICFE (art 266 quinquies C du CDN et circulaire du 27/03/2012)

 

La TICFE (Taxe Intérieure sur la Consommation Finale d’Electricité) s’applique à l’électricité livrée ou consommée sous une puissance supérieure à 250kVA. Le fait générateur est la livraison par un fournisseur à un utilisateur final en France ou la consommation pour ses propres besoins d’une électricité que l’utilisateur a lui-même produite. Le tarif de la taxe est fixé à 0,50€/MWh. Les cas d’exonération sont proches de ceux concernant TICGN et la mise en œuvre de l’exonération similaire.

 

5. TGAP

 

La TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes) sur les lubrifiants et sur les émissions concerne les opérateurs du secteur énergétique. Il s’agit d’une taxe environnementale « pollution » et non d’une taxe « énergétique ». En revanche, la TGAP sur les carburants, qui vise à favoriser l’incorporation de biocarburants dans les supercarburants et gazole mis la consommation en France, est une taxe sur l’énergie. Le taux officiel de TGAP est de 7% pour la filière essences et de 7,7% pour la filière gazole et le taux est diminué à proportion des volumes de biocarburants incorporés dans les carburants. La gestion de cette taxe est complexe (utilisation de multiples certificats). Depuis 2012, seuls les biocarburants durables peuvent donner lieu à minoration de TGAP. Par ailleurs, certains biocarburants donnent lieu à double comptage dans des limites fixées.

 

 

Altaprisma : Qu’en est-il des droits de douane ?

 

J.P. Flouzat : Les montants des droits de douane payés relatifs aux importations de produits énergétiques dans l’Union européenne sont assez faibles. En effet, le tarif extérieur commun est nul (ou suspendu) pour plusieurs produits, par exemple le pétrole brut et le gazole avec une basse teneur en soufre. Par ailleurs, les opérateurs utilisent la réglementation communautaire en vigueur (origine préférentielle, suspensions tarifaires et surtout exemptions traitement défini) pour réduire au maximum le montant des droits de douane payés.

 

 

Altaprisma : Sur le terrain, le classement tarifaire des produits énergétiques pourrait-il poser problème ? Le recours à la procédure de renseignement tarifaire contraignant (RTC) est-il fréquent ?

 

J.P. Flouzat : Quelques exemples montrent que le classement tarifaire peut effectivement être source de problème. En matière de droits de douane, le traitement défini est un procédé industriel de fabrication ou de transformation de produits pétroliers (NC 2710 à 2712) permettant une exemption des droits de douane en cas d’import (cf. note complémentaire 4 du chapitre 27 de la Nomenclature combinée). Or, un laboratoire des douanes a relevé que certains échantillons de produits type « résidu atmosphérique » présentaient une teneur en aromatique supérieure à 50%, ce qui conduit à un classement avec une nomenclature 2707, donc ne permettant pas de bénéficier de l’exemption précitée. L’enjeu financier est important, mais le problème a été solutionné grâce à l’obtention d’une suspension tarifaire pour ce type de produits, suspension applicable depuis le 01/07/2014. En matière de TICPE, le classement tarifaire peut aussi générer des problèmes d’interprétation (litige portant sur l’interprétation du principe d’équivalence et le taux de taxation des déchets d’hydrocarbures, classement de certains produits en « pétrole lampant » avec un taux de 5.66€/hl ou en « autre huile moyenne » avec un taux de 41.69€/hl, classement de certains lubrifiants en gazole). Enfin, les opérateurs utilisent la procédure de RTC, mais c’est relativement peu fréquent, comparé à d’autres secteurs.

 

 

Altaprisma : Qu’en est-il actuellement de l’harmonisation de la taxation des produits énergétiques au niveau de 28 pays-membres de l’Union européenne ?

 

J.P. Flouzat : La fiscalité relève largement de la compétence des États membres. Elle est par ailleurs régie, en matière législative, par le principe de l’unanimité, ce qui ne facilite pas la prise de décision au sein du Conseil. L’harmonisation est certes plus avancée en matière de fiscalité indirecte (TVA, accise) qu’en matière de fiscalité directe, mais elle reste cependant limitée.

 

La fiscalité des produits énergétiques et de l’électricité est encadrée par les directives 2008/118 et 2003/96. Cette dernière fixe des taux minima pour les produits énergétiques utilisés comme carburant ou combustible, définit les produits énergétiques (soumis ou non à document de circulation), établit le principe de taxation selon l’usage, donne la possibilité d’exonérer les énergies renouvelables.

 

Enfin, la Commission européenne a présenté le 13/04/2011 une proposition visant à revoir les règles de taxation de l’énergie, en introduisant notamment une composante CO2 dans la structure de taxation. En raison de divergences profondes entre les Etats membres, ce projet de refonte de la Directive 2003/96 vient d’être abandonné (cf. JOUE du 7/3/2015 C80/19) et il serait envisagé un projet moins ambitieux consistant à amender au coup par coup certains articles de la Directive 2003/96 en fonction des besoins.

 

 

Le mot de la fin

 

J.P. Flouzat : La fiscalité énergétique représente une ressource très importante pour les finances publiques. Elle a aussi un rôle de variable d’ajustement budgétaire et reste très délicate à conduire, compte tenu des contraintes politiques, de sa sensibilité dans l’opinion, des puissants lobbyings en présence et aussi de ses impacts en matière écologique. Les fiscalistes travaillant sur les produits énergétiques, en entreprise ou en tant que conseil, sont forcément comblés en raison de la diversité et de la complexité de la matière.

 

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.

 

 

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