La douane et la lutte contre la contrefaçon

 

Entretien avec Maître Gaspard de Bellescize

 

Propos recueillis par Ghenadie Radu, Dr. en droit, Altaprisma

(formations douane, transport & logistique à l'international)

 

Paris, le 11 avril 2015

 

Altaprisma : Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

 

Me de Bellescize : Avocat au barreau de Paris, j’interviens en contentieux douanier. J’ai suivi un parcours juridique classique à l’Université de Paris II Panthéon-Assas avant de me spécialiser davantage en suivant le Master 2 professionnel « Droit douanier et des transports » à la Faculté de droit de l’Université de Rouen.

 

 

Altaprisma : Ces dernières années, la lutte contre la contrefaçon est devenue l’une des priorités de l’Union européenne. Quel rôle joue la douane dans cette lutte ?

 

Me de Bellescize : En France, l’Administration des douanes est très impliquée dans la lutte contre la contrefaçon, c’est même l’un de ses principaux axes de communication. Ce combat doit bien sûr être mené, même s’il n’est pas de ceux qui se gagnent tant le marché communautaire offre de débouchés pour les marchandises contrefaisantes. Les enjeux de la contrefaçon sont privés et économiques : il ne faut pas confondre la situation dans laquelle une société importe des médicaments contrefaits, ou des jouets contrefaits, ce qui intéresse l’ordre public, avec cette situation où une société importe des sacs à main prétendument contrefaisants. Il n’y a dans ce dernier cas aucune problématique d’ordre public ou d’emploi pour peu que le titulaire des droits de propriété intellectuelle prétendument violés fasse lui aussi fabriquer ses sacs dans un pays tiers !

 

L’Administration des douanes est très bien armée pour combattre la contrefaçon, trop bien peut être dans ces situations où aucun enjeu de sécurité publique, de santé publique ou d’emploi n’est en cause. Quant aux Administrations des douanes des autres pays membres de l’UE, la situation est plus ou moins comparable dans son ensemble.

 

 

Altaprisma : Pourriez-vous rappeler au lecteur le cadre juridique international, européen et national permettant d’organiser la lutte contre la contrefaçon ?

 

Me de Bellescize : La Douane applique le règlement (UE) n°608/2013 du 12 juin 2013 ou les dispositions équivalentes du Code de la propriété intellectuelle. Ces textes organisent une procédure qui assure en principe l’équilibre entre le nécessaire respect des droits de propriété intellectuelle, et la liberté pour une autre de vendre des marchandises sans entrave et de se défendre. La Douane peut retenir pendant 10 jours des marchandises suspectées de contrefaçon, pour laisser le temps au titulaire des droits de propriété intellectuelle d’examiner les marchandises et d’engager le cas échéant une action en justice pour faire constater la réalité de l'atteinte portée à son droit. Cette mise sous retenue empêche l’entreprise importatrice d’honorer ses commandes, sur simple demande d’intervention d’une autre, au seul motif qu’il existe un soupçon de contrefaçon… Après que le titulaire a agi en justice dans le délai de 10 jours, la Douane transforme la retenue douanière en saisie douanière.

 

C’est là que les choses deviennent très compliquées pour l’entreprise, qui doit alors combattre sur deux fronts : contre la société titulaire de droits de propriété intellectuelle devant les juridictions pénales et/ou civiles, et contre la Douane elle-même devant les juridictions pénales.

 

Pour revenir à la procédure, si aucune action en justice n’est intentée dans le délai de 10 jours, la Douane est censée libérer les marchandises, la retenue étant levée « de plein droit », ce qui n’est pourtant jamais le cas alors que la réglementation l’y oblige pourtant ! La douane estime, sur des fondements piochés çà et là dans le Code des douanes, que les produits sont bien de la contrefaçon même si le titulaire des droits prétendument violés n’a pas souhaité agir en justice.

 

La Douane transforme alors la retenue en saisie, et notifie à l’entreprise une infraction douanière, indépendante et autonome de la réalité ou l’absence de contrefaçon, ce qu’aucun Tribunal ne jugera. Attention, cette réalité arbitraire que nous combattons en ce moment dans les prétoires n’est pas celle voulue par le législateur, comme cela a été reconnu par certains magistrats.

 

Je crois que certaines entreprises ont parfaitement compris l’intérêt qu’il y a à laisser agir la Douane, qui prête volontiers ses prérogatives de puissance publique au service d’intérêts privés, et parfois même étrangers, plutôt que d’agir elles-mêmes. J’insiste sur le fait qu’en France, c’est à un tribunal de dire s’il y a ou non contrefaçon et certainement pas à la Douane ou à un concurrent titulaire de droits de propriété intellectuelle.

 

 

Altaprisma : Que peut faire une société qui fait l’objet d’une retenue douanière puis d’une saisie douanière ?

 

Me de Bellescize : Le premier réflexe est bien sûr d’informer l’acheteur final pour limiter les pertes commerciales et de suspendre toute nouvelle commande de son fournisseur.

 

Chaque dossier est différent et dépendra de l’attitude de la société titulaire de droits de propriété intellectuelle et de la pratique locale de la Douane.

 

Chaque dossier réclame une analyse en matière de propriété intellectuelle et en matière douanière, sans jamais perde de vue que le droit douanier est exorbitant du droit commun tant en matière de procédure que de quantum des sanctions. Dans une telle situation, il convient également de ne pas sous-estimer l’Administration des douanes, dont l’attitude déterminera pour beaucoup la suite du dossier.

 

 

Altaprisma : Quelles sont les sanctions possibles suite à une retenue/saisie douanière pour contrefaçon ?

 

Me de Bellescize : Si la Douane transforme la retenue en saisie, c’est soit parce que le titulaire des droits de propriété intellectuelle a intenté une action en justice devant les juridictions pénales et/ou civiles, soit parce que la Douane a d’elle-même décidé de poursuivre sa procédure, sans tenir compte du fait que le tribunal n’a pas été saisi.

 

Le plus souvent, l’entreprise devra donc se défendre contre la Douane pour répondre par exemple du délit d’importation sans déclaration, prévu et réprimé par les articles 38, 414 et 428 du Code des douanes, et contre le titulaire des droits de propriété intellectuelle qui l’aura cité au pénal et ou l’aura assignée devant le Tribunal de Grande instance compétent.

 

Les sanctions douanières sont exorbitantes : « sont passibles d'un emprisonnement de trois ans, de la confiscation de l'objet de fraude, de la confiscation des moyens de transport, de la confiscation des objets servant à masquer la fraude, de la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction et d'une amende comprise entre une et deux fois la valeur de l'objet de fraude, tout fait de contrebande ainsi que tout fait d'importation ou d'exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises de la catégorie de celles qui sont prohibées ou fortement taxées au sens du présent code » (cf. art. 414, al. 1er du Code des douanes national).

 

Je précise que l’assiette de l’amende est calculée sur la base de la valeur commerciale des produits non contrefaisants : autant dire que la société qui a mal choisi son fournisseur, acculée par la société titulaire de droits de propriété intellectuelle et par la Douane n’aura presque jamais l’audace d’aller contester la réalité de la contrefaçon sous de telles menaces : la transaction s’impose même si cette issue est dans certains cas particulièrement regrettable.

 

Je constate quotidiennement que les pénalités de l’article 414 du Code des douanes sont un levier formidable pour pousser les entreprises à transiger, et les entreprises oublient que le juge a aujourd'hui un pouvoir total de modulation.

 

Il est possible de transiger avec le titulaire des droits de propriété intellectuelle, qui renoncera à ses poursuites civiles et se désistera de son éventuelle plainte pénale contre une amende et divers engagements (s’engager à ne plus importer de telles marchandises, fournir des informations sur le fournisseur, etc…). Il est également possible de transiger avec l’Administration des douanes, sous réserve qu’une issue amiable ait été trouvée auparavant avec le titulaire des droits de propriété intellectuelle.

 

 

Le mot de la fin

 

Me de Bellescize : J’ai choisi de ne parler du rôle de la Douane qu’en matière de contrefaçon économique, c’est-à-dire quand il n’existe aucun enjeu de santé, de sécurité pour les consommateurs, ou d’emploi, pour insister sur ces situations dans lesquelles la Douane ne tire pas les conséquences de l’absence d’action en justice de la part du titulaire des droits de propriété intellectuelle, en transformant la retenue en saisie. Cette situation n’est malheureusement pas isolée et doit être dénoncée. C’est surtout un moyen de couler un concurrent sans frais !

 

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.

 

 

 

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