La prise en compte du risque douanier dans les échanges commerciaux internationaux

 

Entretien avec Maître Amynthe LEVASSEUR, Avocate en droit douanier et commerce international

 

Propos recueillis par Ghenadie RADU, Dr en droit, Altaprisma

 

 

Paris, le 16 avril 2024

 

 

Altaprisma : Merci d’avoir accepté de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?  

 

Me Amynthe LEVASSEUR : Avocate, diplômée de l’Ecole du Barreau de Paris, j’exerce en droit douanier depuis plus de dix ans.

 

Après avoir travaillé à Paris et en province dans des Cabinets spécialisés en droit douanier, j’ai créé mon propre Cabinet en janvier 2024 et intégré le réseau LML, réseau d’avocats pluridisciplinaire.

 

Au quotidien, j’accompagne les entreprises dans le cadre de leurs contrôles et contentieux douaniers. J’interviens également en amont afin, d’une part, de limiter les risques et, d’autre part, d’optimiser les flux, faisant ainsi de la stratégie douanière un véritable vecteur de compétitivité.

 

Altaprisma : Comment pourriez-vous définir le risque douanier ? Pourquoi il est si important de le prendre en compte en amont de toute opération à l’international ?  

 

Me Amynthe LEVASSEUR :  Le risque douanier est tout d’abord un risque financier pour les entreprises dans la mesure où les infractions douanières peuvent être sanctionnées par le redressement des droits de douane « fraudés », mais également par le paiement d’amendes.

 

Il me semble cependant erroné de limiter la définition du risque douanier à son aspect purement financier.

 

En effet, le risque douanier doit également intégrer un aspect opérationnel et un aspect réputationnel.

 

Deux exemples pour illustrer ce point :

 

(1)   lorsque les contrôles douaniers se déroulent au moment du dédouanement (on parle de contrôles ex ante), les marchandises peuvent être bloquées pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Quelle que soit l’issue du contrôle, ce blocage est souvent synonyme de véritable casse-tête pour les entreprises. Le risque opérationnel de blocage me semble donc devoir être intégré pleinement au risque douanier ;

 

(2)   les autorités douanières sont compétentes pour effectuer les contrôles normatifs des marchandises importées. Outre l’impact financier, le blocage d’un produit non-conforme peut se révéler néfaste pour l’image des entreprises. En ce sens, le risque douanier constitue un risque réputationnel.

 

De nombreuses entreprises n’ont malheureusement pas connaissance du risque douanier, ou n’ont pas les ressources internes pour s’assurer du respect de la règlementation douanière.

 

En tant qu’avocate en droit douanier, je suis souvent appelée pour la première fois lorsqu’un contrôle est en cours, à un moment où il n’est plus possible de revenir sur les opérations réalisées. Même si cette intervention est utile, notamment pour s’assurer que la procédure a été respectée et que les infractions reprochées aux clients sont fondées, il est souvent très frustrant et dommage de ne pas avoir pu intervenir en amont.

 

Les entreprises ont tout intérêt à s’assurer de la conformité de leurs opérations douanières en amont. Une gestion douanière sécurisée permet non seulement de limiter les impacts financiers des contrôles douaniers, mais également de fluidifier ses flux internationaux, tout en assurant une image de partenaire fiable pour ses clients.

 

Altaprisma : Sur le terrain on parle souvent du risque douanier en matière de classement tarifaire, de valeur des marchandises en douane, d’origine des marchandises, du risque lié au respect des procédures douanières, etc. Pourriez-vous nous donner quelques exemples?  

 

Me Amynthe LEVASSEUR :  Effectivement, ces thèmes sont à l’origine de nombreux contrôles et redressements douaniers.

 

Il convient tout d’abord de rappeler que les opérations d’exportation et d’importation de marchandises doivent être accompagnées d’une formalité, à savoir la déclaration en douane.

 

En présence d’une opération d’importation, la personne identifiée en tant qu’« importateur » est toujours, et souvent la seule, responsable de l’opération déclarée, vis-à-vis de l’Administration des douanes.

 

Cela signifie que la responsabilité de l’importateur sera recherchée par l’Administration des douanes en cas d’erreur sur le code douanier (code SH), la valeur en douane ou encore l’origine, éléments qui sont repris au sein de la déclaration.

 

En matière de code douanier par exemple, il est fréquent que les entreprises s’en tiennent au code qui leur a été communiqué par leur fournisseur. Si ce code est erroné et que le code effectivement applicable est soumis à un taux de droit de douane plus important, un redressement sera opéré.

 

La gestion du risque douanier passe donc nécessairement par une vérification des codes douaniers et de la personne ayant la qualité d’importateur.

 

A l’exportation, les entreprises peuvent certifier une origine préférentielle qui permettra à leurs clients établis dans l’un des pays partenaires de l’UE de ne pas avoir à payer de droits de douane lors de l’importation à destination (ou bien de payer un montant limité de droits de douane).

 

Il n’est pas rare que les entreprises certifient une origine préférentielle UE sur simple demande de leur client, ou bien parce que leur activité est localisée en France.

 

La situation est cependant plus complexe car l’origine préférentielle d’une marchandise doit être distinguée de sa provenance et doit être déterminée après vérification des règles d’acquisition contenues dans les différents accords de libre-échange.

 

En présence de la certification d’une origine préférentielle erronée, ce n’est pas l’exportateur qui sera responsable du paiement des droits de douane vis-à-vis de l’Administration des douanes, mais l’importateur à destination (le client souvent). L’entreprise exportatrice commet cependant une infraction qui pourra entrainer des sanctions pénales et s’expose également à une dégradation de son image commerciale, si son client est redressé au titre du contrôle douanier à destination.

 

Altaprisma : Qu’en est-il du risque douanier en dehors des sujets évoqués dans ma question précédente ? Quels seraient les points de vigilance ?

 

Me Amynthe LEVASSEUR :  Dès lors qu’une réglementation douanière existe il faut être vigilant et s’assurer que les opérations réalisées sont conformes à celle-ci.

 

La difficulté est que les textes sont nombreux, peuvent prendre naissance dans le droit de l’Union européenne comme dans le droit national et peuvent même concerner des entreprises ayant une activité franco-française.

 

A l’importation, si les entreprises doivent être particulièrement vigilantes au triptyque « espèce-valeur-origine », les redressements en matière de contrôle des normes sont de plus en plus fréquents.

 

Nous assistons par ailleurs actuellement à une multiplication des textes visant à prendre en compte de nouveaux objectifs : l’éthique et l’écologie.

 

Ces nouvelles réglementations représentent un vrai défi pour les entreprises qui ne pourront plus à l’avenir gérer leur risque douanier en faisant l’impasse sur la traçabilité.

 

Avec le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (« MACF ») ou encore le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts, ces nouvelles contraintes se conjuguent déjà au présent pour les nombreux secteurs concernés.

 

Enfin, certaines catégories de produits doivent faire l’objet d’une surveillance particulière, quand bien même aucun flux international ne serait réalisé. Il s’agit notamment des produits soumis à accises, comme l’alcool, par exemple, qui nécessitent des statuts particuliers et la tenue rigoureuse d’écritures de suivi.

 

Altaprisma : Quelles seraient, selon vous, les mesures à mettre en place au sein des entreprises tournées à l’international afin de limiter les risques en matière douanière ?

 

Me Amynthe LEVASSEUR :  Une réponse type est difficile à apporter, car cela va déprendre de plusieurs facteurs : le volume des opérations, la taille de l’entreprise, la nature des marchandises concernées ou encore le niveau de maitrise de la réglementation douanière.

 

Les mesures ne seront pas les mêmes pour une PME, qui gère quelques opérations par an, ou pour un grand groupe international.

 

Dans tous les cas, les piliers de la règlementation douanière (espèce, valeur, origine) doivent être connus, maitrisés, et faire l’objet d’un contrôle interne.

 

En présence de produits « sensibles », tels que les produits soumis à accises, les produits militaires ou encore les biens à double usage (civil et militaire), les entreprises doivent nécessairement connaitre la réglementation applicable et vérifier qu’elles disposent des bons statuts ou encore des bonnes autorisations.

 

Pour les entreprises qui n’ont pas de salarié ayant une compétence douanière, cette gestion « a minima » du risque douanier passe avant tout par le conseil, la formation du personnel et le contrôle interne.

 

Il ne faut pas non plus négliger l’importance des bonnes relations avec son représentant en douane et l’Administration des douanes.

 

Pour les entreprises que nous pourrions qualifier de « plus expérimentées », l’objectif sera de s’assurer que les points clés de la réglementation sont maitrisés et bien appliqués. Cela passera notamment par la mise en place de « procédures douane internes » et de process de contrôle internes.

 

A titre d’exemple, le classement douanier des marchandises fera l’objet d’une fiche de procédure détaillant les règles de classement, le rôle de chacun dans sa détermination, et les codes appliqués à date. Nous assistons régulièrement nos clients pour la mise en place de ces procédures internes.

 

L’enjeu pour une entreprise qui aurait ce premier niveau de sécurisation est de ne pas oublier que le droit douanier évolue et que les marchandises ou les process de fabrication peuvent changer. Il faut donc rester en veille sur les sujets douaniers et ne pas se reposer sur ses acquis.

L’objectif ultime est d’arriver à une fonction douane sécurisée et optimisée.

 

Le mot de la fin

 

Me Amynthe LEVASSEUR : Le droit douanier fait souvent peur aux entreprises. Cette appréhension peut se comprendre car il s’agit d’un droit complexe, en constante évolution et passible de sanctions civiles et pénales.

 

Les clients ne sont pas toujours sensibilisés à ce risque pénal et peuvent être étonnés d’avoir à payer, en plus des « droits fraudés », une amende douanière ou encore de se voir reprocher une infraction passible d’une peine d’emprisonnement.

 

La meilleure façon de ne pas se retrouver confronté à ces difficultés est d’anticiper et de sécuriser ses opérations douanières en amont.

 

La douane concerne de nombreuses entreprises (TPE, PME, ou encore grands groupes) qui ont parfois une activité franco-française.

 

N’attendez pas le contrôle pour vous emparer de ce sujet. En plus de gagner en maitrise, vous pourriez gagner en compétitivité !

 

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.     

 

 

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Entretien avec Maître Amynthe LEVASSEUR, Avocate en droit douanier et commerce international. Propos recueillis par Ghenadie RADU, Dr en droit, Altaprisma (formations douane et commerce international). Paris, le 16 avril 2024.
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