Les Douanes en Afrique

 

Entretien avec Lionel PASCAL, Dr. en droit, Expert en Douanes 

 

Propos recueillis par Ghenadie RADU, Dr. en droit, Directeur d’Altaprisma

(formations douane, transport & logistique à l'international)

 

Paris, le 19 mai 2015

 

 

Altaprisma : Merci d’avoir trouvé le temps nécessaire pour nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

 

L. Pascal : J'ai été membre de l'Administration des douanes françaises durant de nombreuses années, où j'ai acquis une expérience internationale à travers des fonctions de Conseiller des douanes pour l'Amérique du Nord, les Caraïbes et l'Organisation des Etats Américains à Washington à l'Ambassade de France, puis comme expert douanier pour le compte de l'OMD, l'ADETEF et du FMI. Pour le compte de l'ADETEF et du gouvernement français, j'ai été le correspondant auprès de la douane algérienne durant de nombreuses années et j'ai participé en Palestine à la création de l'École des Finances Publiques à Ramallah, où la matière douanière est enseignée. Pour les autres Organisations Internationales, j'ai effectué de nombreux déplacements lors de missions d'audits organisationnels dans les pays d'Afrique francophone.

 

Altaprisma : Vous avez publié récemment « La République Centrafricaine : Douanes et corruption, causes de la déliquescence du pays ? », Editions L’Harmattan (2014). Quel message voulez-vous transmettre au public à travers cet ouvrage ?

 

L. Pascal : Au moins deux choses. La première est que si la "petite" corruption est la plus visible, elle n'est possible que dans les pays sans État de droit, où la "grande" corruption fait des ravages dans l'économie dudit pays. La seconde est que les organisations internationales qui ne stigmatisent pas publiquement cette corruption, sont en quelque sorte complices. Le récent exemple de la Tunisie, où la Banque Mondiale a rendu un rapport sur la corruption de la famille BEN ALI trois mois après la « Révolution de jasmin » montre qu'elles en sont bien informées, mais trop discrètes ! La corruption empêche le développement économique et accroit les inégalités des habitants des pays corrompus.

 

Altaprisma : La République Centrafricaine a fait un choix inédit, car elle a laissé à la sphère privée la gestion d’un certain nombre de missions attribuées normalement aux Douanes elles-mêmes. Pourriez-vous nous en dire plus ? Tout compte fait, s’agit-il d’une expérience positive, à reproduire éventuellement dans d’autres pays ?

 

L. Pascal : Il s'agit de fausse privatisation, car je montre que dans les faits, on continue de faire coexister le système privé (très onéreux) et le système public (le plus souvent inefficace et redondant). Comme le disait l'ex-Président MAO : « peu importe que le chat soit noir ou gris du moment qu'il attrape des souris ! » Pour la douane, c'est pareil ! L'histoire montre que les services douaniers ont été privatisés de l'Antiquité à la Révolution; ce sont les abus des fermiers généraux qui ont laissé un mauvais souvenir. C'est pourtant le système que la France a choisi pour ses colonies à la fin du XIXème siècle. Depuis Napoléon 1er, la douane a été une administration militaire, puis financière. Ce système militaro-financier a été mis en place en Afrique après la seconde guerre mondiale. La Banque Mondiale a recommandé pour les pays en développement une privatisation partielle des missions douanières, notamment dans celle d'évaluer la base de la taxation à venir. Or, partout le service public refait le travail effectué par la société privée et reste seul juge de la pertinence de ses décisions. Le système est donc à la fois inefficace et coûteux, ce qui est un comble pour quelque chose qui est censé améliorer les Finances Publiques... D'autant plus que la mondialisation et l'OMC ont pris de l'importance dans la vie économique des pays !

 

Altaprisma : Il n’est secret pour personne que le phénomène de la corruption touche particulièrement l’Afrique, notamment dans le domaine douanier. Quelles seraient, selon vous, les pistes pour lutter contre ce phénomène ?

 

L. Pascal : Comme indiqué auparavant, c'est l'absence d'État de droit qui permet le développement des corruptions. Si les douaniers et autres forces en uniformes étaient poursuivis devant des Tribunaux indépendants et sanctionnés, la petite corruption serait jugulée ! Mais pour les Ministres et autres dirigeants, il serait temps de donner des compétences à la CPI. Il faut noter que la corruption douanière n'est pas seulement spécifique à l’Afrique : de récents exemples montrent qu’elle concerne aussi l’Europe de l'Est, la Chine et même la France ! Souvenons nous de cette affaire de douaniers corrompus à CDG-Roissy, où des équipes spécialisées « prélevaient » depuis 20 ans des valises remplies d'argent liquide appartenant à des trafiquants colombiens qui rapatriaient en Amérique Latine la contre valeur des tonnes de cocaïne qui entrent en France chaque année.

 

Altaprisma : Comment les organisations et les institutions internationales (OMC, OMD, FMI, Banque Mondiale, etc.) pourraient-elles aider plus efficacement les pays africains dans la lutte contre le phénomène de corruption en matière douanière ?

 

L. Pascal : En matière de droit des affaires, nous avons l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), qui est un très bel exemple de ce que la francophonie peut faire de bien dans le domaine juridique. Dans le domaine douanier et fiscal, nous devrions faire de même, et mettre en place une organisation éthique des responsables administratifs et des sociétés privées désireux de travailler ensemble à l'amélioration de la formation des douaniers et des transitaires, au respect d'une charte éthique et à la création d'une Commission mixte qui serait responsable des appels lorsqu'un contribuable s'estimerait lésé par une décision administrative dans le domaine douanier, fiscal, surtout concernant la partie portant sur le contentieux !

 

 

Le mot de la fin

 

L. Pascal : Comme dans le cadre de l'UE, je rêve d'une Union douanière franco-africaine où les procédures seraient harmonisées et simplifiées. Ce qui a été possible depuis 1958 en Europe, doit l'être avec nos amis d'Afrique Francophone: cela serait un magnifique tremplin au développement économique de tous les pays membres !

 

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.

 

 

 

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