Par Ghenadie RADU, Dr en droit, Altaprisma
Paris, le 20 avril 2025
Introduction
Lors de son allocution du 2 avril 2025, le Président Donald TRUMP annonce la mise en place des taux des droits de douane d’au moins 20 % à l’importation aux Etats-Unis. Ces droits toucheraient presque tous les pays du monde (185 pays et territoires). Quelques jours plus tard, le Président américain annonce une « pause » de 90 jours concernant l’application de la mesure prise et réduit de moitié les taux des droits de douane annoncés précédemment, sauf pour les produits chinois, qui restent lourdement taxés (à plus de 125 % ). Pékin a riposté sans tarder et a relevé les taux des droits de douane touchant les produits américains de 34 % à 84 %, et cela à compter du 10 avril 2025.
Les annonces faites par l’Administration américaine risquent-elles de lancer une guerre commerciale entre les Etats-Unis et le reste du monde ? Ces annonces ont provoqué une onde de choc dans le monde entier. Elles ont permis de prendre conscience à quel point le commerce international est dépendant des décisions prises par l’Administration américaine. C’est surtout la « douche froide » pour des pays qui se croyaient « amis » des Etats-Unis, notamment la Grande Bretagne, le Canada, l’Australie, les Etats membres de l’Union européenne (UE), etc.
Les commentateurs et autres experts en matière douanière et commerciale internationale cherchent toujours à comprendre quels sont les motivations profondes qui ont conduit le Président Donald TRUMP à prendre de telles décisions en matière des droits de douane. On ose espérer que les décisions du Président américain, qui dirige la première puissance économique et militaire au monde, aient été guidées par le bon sens. Bien que ses motivations nous échappent en grande partie pour le moment, certes est le fait que les Etats-Unis, sous la deuxième présidence TRUMP qui vient de commencer, ont réussi à apporter des tensions considérables aux échanges commerciaux internationaux. La « boite de Pandore » du protectionnisme vient donc d’être largement ouverte, avec des conséquences que personne ne pourrait prévoir pour le moment, ni le Président Donald TRUMP, ni même l’IA américaine la plus perfectionnée…
On pourrait seulement supposer que les Etats-Unis essayent par tous les moyens de s’opposer à l’émergence d’un monde multipolaire et au rôle central que pourrait jouer la Chine dans ce nouveau paradigme. On pourrait supposer aussi, comme l’avait suggéré le Président Donald TRUMP lui-même, que pour vendre aux Etats-Unis il vaudrait mieux produire sur son territoire pour ne pas être exposé aux droits de douane américains, ce qui permettrait, selon lui, de redynamiser l’économie américaine (America First). Mais que fera-t-il de l’inflation inévitable des prix, du manque de main d’œuvre qualifiée pour faire tourner les usines américaines, etc. ? Les Etats-Unis vont-ils réussir ce virage protectionniste ? Difficile à dire pour le moment, car nous sommes tous en pleine « tempête douanière ».
Dans le même esprit, tout porte à croire que l’Administration TRUMP considère que la mondialisation ne fait plus recette (produire dans un pays à bas coût, puis vendre dans un pays occidental au prix fort). Par conséquent, cette administration tente d’opérer un virage protectionniste assumé, nous entraînant tous dans ce nouveau paradigme contagieux et très probablement appauvrissant. Le monde avait-il besoin d’une telle crise ?
I. Les droits de douane américains au regard des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
Les droits de douane désignent les taxes imposées par un État sur les marchandises franchissant ses frontières, principalement à l'importation. Ils constituent un levier stratégique de la politique commerciale et économique, permettant à la fois de réguler les flux de marchandises et de soutenir les recettes publiques. Historiquement, ces droits ont été utilisés pour favoriser le développement industriel en protégeant les productions nationales face à la concurrence étrangère. Leur rôle protectionniste s’inscrit souvent dans une logique de souveraineté économique, notamment dans les secteurs jugés stratégiques. Cependant, l’usage excessif des droits de douane peut engendrer des conflits commerciaux et perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales. Ainsi, les droits de douane restent un outil ambivalent, à la fois protecteur et potentiellement source de tensions dans les relations économiques internationales. Ces droits devraient être utilisés avec beaucoup de parcimonie.
Dans la crise actuelle, les droits de douane sont clairement utilisés par les Etats-Unis comme instrument de pression commerciale exercée sur divers pays afin d’obtenir des avantages commerciaux (achat d’armement américain ; installation de lignes de production aux Etats-Unis ; transfert des données ; etc.). Cette pratique est contraire au principe fondamental de l’OMC, qui porte sur la clause de la nation la plus favorisée (NPF).
Pour rappel, cette clause est définie par l’article I de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et constitue l’un des piliers du système commercial multilatéral de l’OMC. Elle impose à tout membre de l’OMC d’accorder immédiatement et sans condition à tous les autres membres tout avantage, faveur ou privilège commercial qu’il accorde à un autre pays. Concrètement, si un État membre de l’OMC réduit le taux de droit de douane sur un produit importé d’un pays donné, cette réduction doit automatiquement s’appliquer aux produits similaires provenant de tous les autres membres de l’OMC. Ce principe vise à assurer l’égalité de traitement et à éviter toute discrimination entre les partenaires commerciaux. Il renforce la transparence et la stabilité des relations commerciales internationales. Toutefois, certaines exceptions sont prévues, notamment dans le cadre des accords commerciaux régionaux ou des préférences tarifaires unilatérales accordées aux pays en développement (système de préférences généralisées, par exemple). La clause NPF incarne donc la volonté de l’OMC de promouvoir un commerce international fondé sur des règles communes, non discriminatoires et équitables. Son application constitue un garde-fou essentiel contre les pratiques protectionnistes arbitraires.
Au regard des règles de l’OMC, il n’est pas possible pour un Etat membre de l’OMC (166 à ce jour) d’augmenter unilatéralement les taux des droits de douane, sauf dans trois situations bien précises, à savoir la mise en place des droits anti-dumping, des droits anti-subvention et des droits de sauvegarde. En l’espèce, les Etats-Unis, en imposant des droits de douane à presque tous les pays de par le monde, sont clairement en dehors de tous respect des règles de l’OMC, organisation qu’ils ont par ailleurs largement contribué à mettre en place (GATT 1947) et à promouvoir.
II. Comment l’UE pourrait-elle réagir par rapport aux droits de douane américains ?
Avant toute chose, il convient de dire qu’une telle crise pourrait présenter une opportunité stratégique pour l’UE. Plutôt que de réagir dans la précipitation, il est essentiel d’adopter une posture réfléchie, fondée sur une analyse froide et lucide des intentions et des vulnérabilités des États-Unis dans ce bras de fer commercial. Pour commencer, il serait nécessaire d’identifier les secteurs économiques américains les plus exposés aux représailles européennes, afin de calibrer une réponse proportionnée et ciblée, qui enverrait un signal ferme à nos « amis » américains, sans pour autant aggraver les tensions.
L’UE devrait renforcer sa cohésion interne (qui est son point faible). Une position commune des États membres est indispensable pour faire face à une telle « offensive douanière » américaine. Il s’agirait également pour l’UE de diversifier ses échanges économiques, en coopérant davantage avec d’autres grandes économies de par le monde, comme la Chine, le Canada, le Japon ou encore l’Inde, pour réduire sa dépendance vis-à-vis du marché américain. Dans le même esprit, l'UE pourrait s'intéresser plus aux pays africains. En outre, la crise actuelle devrait inciter l’UE à investir dans sa compétitivité industrielle et à mieux protéger ses secteurs stratégiques.
Laisser les États-Unis imposer des mesures unilatérales sans réponse serait non seulement perçu comme un signe de faiblesse, mais risquerait aussi de fragiliser la crédibilité de l’UE sur la scène internationale. Une riposte ferme mais mesurée est donc indispensable pour défendre les intérêts économiques européens. Les annonces du Président Donald TRUMP doivent être prises au sérieux, mais elles ne doivent pas conduire à une réaction émotionnelle: l’enjeu serait de transformer cette confrontation, déclenchée par les Etats-Unis, pour renforcer l’UE en général et chaque Etat-membre de l’UE en particulier.
En attendant d’y voir un peu plus clair, et à court terme, l’UE pourrait envisager de recourir aux mesures suivantes, dont la liste n’est point exhaustive et dont le seul but est de lancer les débats :
A moyen et long terme, il faudrait réfléchir comment réduire la dépendance de l’UE par rapport aux Etats-Unis. Pour alimenter le débat, il est permis ici de se poser quelques questions qui, compte tenu de la situation, relèvent du bon sens :
Conclusion
Avec les annonces faites par le Président Donald TRUMP en matière de droits de douane, le commerce international, tel que nous l’avions connu ces dernières décennies, semble entrer dans une période de grande instabilité. Les mesures protectionnistes adoptées par les États-Unis marquent une rupture significative avec le principe du libre-échange. Cette évolution reflète une volonté politique de rééquilibrer la balance commerciale américaine, mais elle soulève de vives inquiétudes quant aux répercussions globales. En adoptant une posture unilatérale, les États-Unis fragilisent les mécanismes multilatéraux mis en place par l’OMC. Les partenaires commerciaux traditionnels des Etats-Unis, comme l’UE, mais pas seulement, se trouvent contraints de riposter.
Ce climat d’incertitude engendre une tension palpable sur les marchés mondiaux. Il devient dès lors indispensable pour les grandes puissances économiques de renforcer leurs capacités d’anticipation. La période de la « mondialisation heureuse », marquée par l’expansion rapide du commerce et l’interdépendance croissante des économies, pourrait être remise en question. Désormais, les relations commerciales se redéfinissent sur fond de rivalités géopolitiques et de stratégies nationales. Les droits de douane, longtemps considérés comme des outils du passé, réapparaissent comme des armes dans une guerre commerciale aux effets potentiellement déstabilisateurs.
L’UE, pour sa part, est placée face à un double défi : contribuer à préserver l’ordre commercial international, tout en défendant ses intérêts stratégiques. Pour ce faire, elle devrait adopter une posture plus proactive sur la scène internationale. Il ne s’agit plus uniquement de réagir aux décisions américaines, mais de construire une stratégie autonome, fondée sur la diversification des partenariats et le renforcement de ses capacités industrielles. Cette nouvelle donne exige également une cohésion accrue entre les États membres de l’UE. En effet, seule une réponse collective et coordonnée permettrait à l’UE de faire entendre sa voix avec crédibilité et de tirer profit des profonds bouleversements géopolitiques en cours et ceux à venir.
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PASCAL Lionel (mercredi, 23 avril 2025 16:15)
Merci pour ce résumé précis et clair du danger d'abuser des droits de douane ! C'est peut-être un mot merveilleux mais mal géré les effets sont terribles !
Vous auriez dû envoyer cette étude à D. TRUMP l'an passé ! L'économie déteste l'incertitude et les aller-retour décisionnels.
La réponse de l'UE devra être à la hauteur du défi car le délai fixé par les USA va bientôt se terminer et seuls les faibles paieront ...
Sandra Anong Aroga (lundi, 21 avril 2025 10:19)
merci pour cette brillante analyse... J'y vois desormais plus clair et en quelque sorte soulagee de constater que personne veritablement ne comprend les reelles motivation du President Trump à l'initiative de cette <<Tempete douaniere>>.
Jean Raffin (dimanche, 20 avril 2025 21:18)
Merci pour cette brillante synthèse, en particulier sur la conduite à tenir par l’UE face au problème