La mise en place du principe de réciprocité dans les échanges commerciaux internationaux. L’urgence de lancer les études

  

Par Ghenadie RADU, Dr. en droit

  

Paris, septembre 2012

 

Il est difficile de ne pas observer que la situation économique en France, mais aussi en Europe, continue à se dégrader. Ce constat n’arrange guère ni les décideurs, ni les entreprises, ni les citoyens, qui ressentent tous les jours les conséquences de la crise économique. Dans ces conditions, l’emploi est devenu une cause majeure, tout comme la recherche des solutions pour relancer la croissance.

 

La France, comme la plupart de ses partenaires européens, a connu une désindustrialisation soutenue, phénomène qui s’est malheureusement accentué cette dernière décennie. Si rien n’est fait, ce pays pourrait bientôt perdre la totalité de son industrie, avec des conséquences désastreuses pour l’emploi et pour la croissance, on le sait tous. Mais il est encore temps d’inverser la tendance, l’une des solutions envisageables étant la réindustrialisation du territoire (français, mais aussi européen). Dans ces conditions, on se réjouit d’apprendre que le nouveau gouvernement français a élevé le dossier en question au rang de ses priorités absolues, un Ministère du redressement productif chargé de l’affaire ayant même été créé pour parvenir à mettre en place une politique cohérente en la matière. Vu l’ampleur de la tâche qui attend la société toute entière, on ne peut pas se permettre de garder le silence sur un sujet d’une si grande importance pour l’avenir de l’économie française et européenne.

 

On arrive enfin au cœur du problème : nul ne doute que la réindustrialisation doit se faire d’une façon bien réfléchie, car les marges de manœuvre apparaissent aujourd’hui comme très étroites. En ce sens, faire appel au principe de la réciprocité dans les échanges commerciaux internationaux peut s’avérer nécessaire, voire indispensable pour la bonne réussite du projet. Ce principe se résume en substance à l'idée selon laquelle un produit élaboré hors du territoire communautaire ne doit pouvoir pénétrer sur ce dernier que si les normes que nous imposons à nos propres industriels (en matière sociale, sanitaire, environnementale, etc.) sont respectées dans des conditions équivalentes par les industriels étrangers.

 

Pour aller plus loin, et sans chercher à indisposer d’une façon ou d’une autre les partenaires en question (surtout les asiatiques), il est très important pour l’avenir de l’économie française/européenne que l’on puisse arriver en Europe à mettre en place un tel mécanisme, pour qu’en fin de compte produire sur ce territoire soit plus rentable pour nos industries que de continuer à produire principalement en Asie et importer ensuite les marchandises sur le territoire douanier communautaire, comme c’est le cas aujourd’hui. Cette idée, qui se propose comme objectif d’inverser la tendance et d’équilibrer en quelque sorte les flux d’échanges commerciaux internationaux (Europe/Asie), permettra à la longue, on l’espère, de faire revenir les industries. Dans ces conditions, le recours au principe de la réciprocité doit être regardé seulement comme un moyen (et non pas comme une fin en soi) favorisant in fine la relocalisation des lignes de production sur le territoire français/européen. Cela étant, et bien que simple à comprendre, le recours à ce principe est loin d’être une mince affaire, d’où la nécessité de prendre en compte les dimensions suivantes :

 

1° La dimension politique. Il va sans dire que tout dossier de ce genre et d’un tel niveau de complexité aurait besoin d’un soutien politique sans faille pour qu’il puisse être mené dans de bonnes conditions. A ce jour la France, qui vient de mettre en place un gouvernement ambitieux, porteur de nouveaux espoirs, apparaît comme le pays de l’UE le plus indiqué pour conduire un projet d’une telle envergure. Il s’agit d’un pays qui dispose sans doute de l’influence nécessaire permettant de convaincre ses partenaires européens sur la nécessité de réindustrialiser le territoire commun, en se basant en partie sur la mise en place du principe de la réciprocité.

 

2° La dimension économique (pour ne pas dire comptable). Il faudrait envisager de mener plusieurs études indépendantes pour estimer les « gains » et les « pertes » liés à la mise en place du principe en question. Le risque est que certaines nations, surtout asiatiques, voient dans la mise en place de ce principe l’expression d’une politique européenne protectionniste. Il n’est donc pas à exclure que certaines de ces nations soient tentées, à leur tour, de répondre par des mesures protectionnistes ayant un effet comparable. Mais, ce n’est qu’à la suite de ces études, qui devraient être conduites de toute urgence par plusieurs organismes indépendants (mais aussi, et en parallèle, par le Ministère du redressement productif, le Conseil économique, social et environnemental [France], ou bien par la Commission européenne au niveau de l’UE), qu’il sera possible de voir un peu plus clair de façon à s’assurer que les gains liés à la mise en place du principe de la réciprocité apparaissent bien supérieurs par rapport aux pertes éventuelles.

 

3° Enfin, la dimension juridique. Cela nous amène à nous interroger : comment serait-il possible d’« habiller » juridiquement une décision politique qui aura sans doute des conséquences sur l’organisation toute entière des flux d’échanges entre l’UE et le reste du monde ? En ce sens, nul besoin d’insister sur le fait que des études approfondies devraient être menées de toute urgence pour qu’il soit possible, le moment venu, de donner un cadre juridique clair et incontestable permettant la mise en place du principe dont il est question ici (il faudrait principalement penser à passer en revue les normes européennes et le droit de l’OMC).

 

En conclusion, il apparait donc très urgent de lancer plusieurs études sur la faisabilité de la mise en place du principe de la réciprocité dans les échanges commerciaux internationaux, études qui devraient être menées avec la plus grande minutie par plusieurs organismes/institutions, car in fine l’avenir de la France, mais aussi du projet européen tout entier en dépend.

 

Source : Le Phare, n°160, sept. 2012, pp. 49 et s.

 

La version PDF est disponible plus bas.

Télécharger
G. RADU La réciprocité.pdf
Document Adobe Acrobat 1.7 MB
Commentaires: 0